Avocats : Le cabinet Racine et son fondateur condamnés pour harcèlement et rupture abusive

Cabinet Racine, Paris.
Cabinet Racine, Paris.

Mettant en pièces et annulant une décision ordinale jugée contraire aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel de Paris a condamné, pour des faits remontant à il y a près de dix ans, un cabinet d’avocats parisien, in solidum avec son fondateur historique, à payer 50 000 euros à un ancien collaborateur pour harcèlement moral, outre 100 000 euros pour rupture abusive du contrat de collaboration et 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Des centaines voire millier d’échanges et d’attestations diverses et variées produits et versés aux débats de part et d’autre et méticuleusement disséqués et analysés par le censeur de la juridiction ordinaleCA Paris, ch. 4-13, 13 oct. 2021, n° 18/06074, Matthieu Bourdeaut c/ société Racine et Bruno Cavalié., on comprend que recruté, le 13 janvier 2009, pour un « test d’un mois » sans contrat ni rétrocession ou rémunération préalablement définie ni même un bureau ou moyens matériels alors qu’il en était à sa septième année d’exercice et qu’il s’était fait les dents et les crocs chez Deloitte avant sa prestation de serment et dans trois cabinets de droit des affaires parisiens ensuite en tant que collaborateur sans parvenir au statut d’associé convoité, Matthieu Bourdeaut a été effectivement engagé a posteriori par le cabinet Racine à l’issue de ce « test » avec effet rétroactif à la date du 13 janvier moyennant une rétrocession mensuelle de 7 000 euros pour s’occuper notamment et principalement de fusions et acquisitions et a été licencié 37 mois plus tard, le 14 février 2012, sans préavis, lui causant apparemment un traumatisme d’une telle ampleur et gravité qu’il a été en arrêt maladie sans discontinuer à compter de ce jour du 14 février 2012 et jusqu’au 21 août 2015, si l’on excepte une très brève apparition au cabinet, le 16 avril 2012, pour constater qu’il n’avait plus de bureau ni d’ordinateur et que son badge avait été désactivé.

C’est ainsi que muni de sa plus belle plume et sans attendre d’avoir complètement repris tous ses esprits et toutes ses forces, M. Bourdeaut, qui s’était fait omettre à partir du 31 décembre 2012 pour faire l’économie de frais inutiles, a saisi, le 13 février 2014, le bâtonnier de Paris d’une requête tendant à obtenir, à titre principal, la requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail avec toutes les conséquences de droit et surtout toutes les indemnités qui en découlent, majorées et augmentées en cours d’instance pour y inclure d’autres demandes et indemnités au titre du droit au repos, de l’obligation de « sécurité et de résultat » dont est redevable l’employeur à l’égard de son personnel ainsi qu’au titre du harcèlement moral subi au cours des mois qui ont précédé la rupture brutale sans préavis de la relation contractuelle ou libérale.

Débouté sans ménagement de l’ensemble de ses demandes par une décision ordinale rendue le 25 novembre 2015, M. Bourdeaut a interjeté appel le 16 décembre 2015 et l’affaire a été radiée le 18 octobre 2017 faute de (pouvoir) s’en occuper. Réenrôlé au vu d’écritures par lui prises le 1er février 2018, après plusieurs renvois et péripétie devant le « magistrat chargé d’instruire l’affaire » pour réclamer une provision jugée irrecevableCA Paris, ch. 4-13, 20 juin 2020, n° 18/06074, Matthieu Bourdeaut c/ société Racine et Bruno Cavalié., le dossier a finalement été plaidé le 9 juin dernier et il était demandé, tous chefs confondus, à titre principal et outre la requalification du contrat de collaboration en contrat de travail, la somme de 3,64 millions d’euros. À défaut de requalification et de réintégration, la même somme — ou à peu près — était demandée à titre subsidiaire sous divers intitulés, outre et en tout état de cause, moult sommes (remboursement de cotisations, honoraires ou impôts versés à l’Ordre, au Cnb, à la Cnbf, à l’Urssaf, au Fif-Pl, à la Ram, à l’administration fiscale au titre de la TVA et de la CFE, à son comptable,…) et primes diverses et dont, notamment, les sommes de 305 590,32 euros au titre du harcèlement moral subi et de 115 000 euros pour ses préjudices matériels, médicaux et moral.

Une procédure ordinale conduite de manière non impartiale ne peut être tenue pour un procès équitable au sens de l’article 6-1 de la Convention
Liminairement, la cour d’appel critique sévèrement la décision ordinale déférée qu’elle annule purement et simplement au motif que s’il était « loisible au bâtonnier de demander au requérant de circonscrire ses explications au point concernant la requalification du contrat de travail qui constituait le cœur du sujet, comme de lui demander de s’abstenir de faire la lecture de passages d’attestations qui étaient présentes au dossier », encore est-ce, souligne la cour, à la condition que les prétentions et moyens qu’il le dispensait ainsi de développer et les attestations à leur soutien fussent « effectivement prises en considération dans le cours de son délibéré ». Ce qui n’a pas été le cas, comprend-on.

Pour la cour, cette prise en compte ne ressort en effet « manifestement pas » de la décision rendue, qui tient sur 17 pages dont 13 consacrées à l’objet du litige, la motivation faisant état, en son paragraphe 2, de ce que ‘la question soumise au bâtonnier porte sur la qualification du contrat’, sur laquelle se concentrent deux pages, et négligeant à peu près totalement la question du caractère abusif de la rupture, évacuées en sept lignes et deux affirmations : ‘En l’espèce, il est établi que les relations personnelles entre M. Bourdeaut et l’ensemble du cabinet étaient gravement perturbées. M. Bourdeaut ne caractérise ni le caractère abusif de la rupture de son contrat de collaboration libérale, ni le préjudice qu’il invoque’. Cette motivation qui « n’en est pas une », juge la cour sans tourner autour du pot, traduit « une absence d’examen effectif des moyens invoqués par M. Bourdeaut et des pièces produites à son soutien ». Circonstance aggravante, estime la cour, l’acceptation sans l’ombre d’une discussion de l’affirmation de la société Racine sur le « caractère perturbé des relations de M. Bourdeaut avec l’ensemble des membres du cabinet » — alors même qu’elle était combattue par de nombreux éléments de son propre dossier — donne « consistance au doute » instillé, précise la cour, par « les nombreuses marques de manque d’impartialité objective » rapportées par le témoignage « mesuré et circonstancié » d’un journaliste présent lors de l’audience ordinale. La décision est dès lors annulée au motif que la procédure a été conduite de manière non impartiale et elle ne peut être tenue pour un procès équitable au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Sur le fond, reprenant par le menu les récriminations (horaires incompatibles avec la possibilité de constituer une clientèle personnelle alors qu’il s’était plaint, le 12 janvier 2012, que « le début de l’année 2011 [avait] été calme, beaucoup trop calme à [son] goût » et lien de subordination incompatible avec le statut de collaborateur alors qu’il affirme tenir les ‘rênes’ dans le dossier Terreos qui lui a été confié en novembre 2011 et baptisé « dossier du siècle ») formulées à l’encontre de son contrat de collaboration libérale et de son statut de « directeur de mission », la cour considère qu’il n’y a pas lieu de le requalifier en un contrat salarié et ce après avoir relevé qu’il ne lui a été fait aucune difficultés sur le choix de ses dates de vacances, sur ses demandes de formation ni sur ses participations à des séminaires extérieurs en 2010 et 2011.

La société Racine ne peut légitimer par des griefs infondés ou véniels la rupture brutale d’une relation contractuelle
Il n’empêche que la rupture, elle, est jugée par la cour « manifestement abusive tant par défaut de motif valable que par sa soudaineté et sa brutalité, dramatiquement illustrées par l’état de choc dans lequel cette annonce a plongé M. Bourdeaut » et la société Racine est condamnée à payer 100 000 euros de dommages-intérêts à ce titre. Ni le prétendu traitement laxiste des dossiers, ni les mauvaises manières avec les secrétaires, ni son comportement détestable avec les associés, ni le non-signalement de la période de sous-charge des trois premiers trimestres de 2011, ni la majoration artificielle du temps de travail sur les feuilles de temps ne sont en effet parvenues à abuser la religion de la cour qui croit utile de préciser que « de la même manière que M. Bourdeaut ne peut prétendre à un statut salarié après avoir en toute connaissance de cause accepté et positivement vécu son statut de collaborateur directeur de mission pendant près de trois années », la société Racine « ne peut pas prétendre légitimer par des griefs, soit infondés, soit véniels, rassemblés dans la lettre du 21 février [2012], la rupture brutale d’une relation contractuelle qui se déroulait à la satisfaction mutuelle des parties, sans que M. Bourdeaut ait fait jusque là l’objet de la moindre remontrance tant sur son comportement que sur la qualité de son travail ».

Un traitement identique à celui réservé en 2004 à M. Bozmarov
La cour retient également que M. Bourdeaut a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral du fait de Bruno Cavalié, principal associé de Racine agissant « tant au nom de l’entreprise qu’à titre personnel », qui est condamné in solidum avec sa société à payer 50 000 euros de dommages-intérêts à ce titre. La cour estime utile de préciser que l’extrême brutalité avec laquelle M. Bourdeaut a été remercié (au sortir d’une période de travail particulièrement dense et éprouvante) du jour au lendemain (avec déconnexion immédiate de son ordinateur et de sa boîte mail et de l’annonce faite à tous les membres du cabinet des griefs infondés amalgamés pour justifier la décision) ressemble au « traitement réservé en 2004 à M. Bozmarov », un avocat salarié du cabinet Racine victime en 2004 d’un licenciement annulé en 2010 par la cour d’appel de Versailles, et tout cela « dans le plus complet mépris de son état de santé », ce qui est « la marque d’une management particulièrement violent de l’entreprise et s’inscrit dans le droit fil du régime de harcèlement » constaté dans le cas de M. Bourdeaut.

Un peu « content » mais beaucoup « insatisfait », « la Justice a parlé. Et fort ! », écrit Me Bourdeaut sur sa page LinkedIn, à présent inscrit au barreau de Nantes, et en appelle à l'actuel bâtonnier de Paris Olivier Cousi pour lui demander de ne pas se cacher « derrière l’absence de condamnations répétées de Racine et de Bruno Cavalié […] indigne de notre serment d’avocat comme de notre Robe ».

Sollicitée par LexTimes, Racine dit vouloir s’en tenir à son « statement » diffusé via Havas dans lequel le cabinet dit prendre acte de cette décision qui ne lui a pas encore été notifiée et indique n’avoir pas pris la décision de former un pourvoi en cassation, dans l’attente de disposer de l’intégralité de la décision. S’agissant des faits de harcèlement, le cabinet Racine précise être « en désaccord avec l’appréciation des faits réalisée par la cour d’appel qui a écarté, de manière injustifiée, l’ensemble des attestations d’anciens salariés et collaborateurs témoignant de la qualité des conditions de travail au sein du cabinet », ajoutant qu’il s’agit de faits « anciens » qui « ne reflètent en aucun cas les conditions d’exercice des collaborateurs du cabinet Racine, qui accorde une vigilance particulière à ce sujet ». Racine n’en a toutefois pas terminé avec la justice et avec ses collaborateurs rebelles puisque le délibéré dans un autre dossier similaire, Fabien Courvoisier, est attendu pour le 15 novembre.

Créée au mois de février 1989 selon infogreffe.fr, la société Racine a réalisé, au titre de l’exercice clos à fin décembre 2019, un chiffre d’affaires de 39,5 millions d’euros et un résultat net de 686 938 euros avec un effectif salarié déclaré de 55 personnes et 36 associés selon le registre des bénéficiaires effectifs à jour au 23 octobre 2021, le nombre d’associés étant de 27 selon l’annuaire du barreau de Paris consulté par LexTimes le 24 octobre 2021. Les données relatives à l’exercice clos à fin décembre 2020 n’ont pas encore été déposées au greffe à la date du 22 octobre 2021 et ne sont donc pas disponibles.