Discriminations positives : Une demi-journée de congé en plus pour les femmes

Par un accord d’entreprise, il est possible de réserver aux seuls salariés de sexe féminin une demi-journée de congé à l’occasion de la « journée internationale des droits des femmes » résultant d’une résolution de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), a jugé hier la Cour de cassation.
Embauché le 3 novembre 2008 par la société ST2N en qualité de conducteur de bus et licencié le 26 octobre 2012, un salarié de sexe masculin estimait subir une inégalité de traitement en ce que ses collègues de sexe féminin bénéficiaient d’une demi-journée de congé supplémentaire, le 8 mars de chaque année, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, qui lui était refusée.
Débouté de sa demande de dommages et intérêts par les juges du fond au motif que la différence de traitement était justifiée par « la nécessité de favoriser la lutte des femmes dans leur combat pour une égalité avec les hommes non acquise dans le milieu professionnel », Rachid soutenait à l’appui de son pourvoi que le principe d’égalité « interdit à l’employeur de traiter de manière différente des situations comparables, à moins que la différenciation ne soit objectivement justifiée » et que rien ne justifiait que les hommes soient exclus du « combat pour l’égalité hommes/femmes ».
Un accord collectif d’entreprise peut prévoir une demi-journée de repos pour les seules salariées pour la journée des femmes
Cass. Soc., 12 juill. 2017, n° 15-26262, société ST2N.
C’est au visa des articles L. 1142-4, 1143-1 et 1143-2 du code du travail, « interprétés à la lumière de l’article 157 §4 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », que la chambre sociale de la Cour de cassation
Il s’agit d’un arrêt important, estime la Cour dans une note explicative, qui prend en compte l’évolution du droit de l’Union européenne (UE) résultant tant du droit matériel que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en ce qui concerne les discriminations positives en faveur des femmes.
Après avoir formé devant la cour d’appel une demande de dommages et intérêts qui avait été rejetée, le pourvoi était fondé sur l’article L. 3221-2 du code du travail « tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes » mais ce n’est pas sur ce terrain-là que la chambre sociale a choisi de placer le débat.
Même si la Cour de Luxembourg a une conception très large de la notion de rémunération, l’octroi d’une demi-journée de congé relève en droit français des conditions de travail et c’est en application de l’article L. 1142-4 du code du travail sur l’égalité des chances que la chambre sociale livre sa solution.
La jurisprudence communautaire était à l’origine très restrictive et n’admettait des dérogations à la stricte égalité en faveur des femmes que si ces dérogations étaient justifiées par la condition biologique de la femme, c’est-à-dire en raison de la grossesse et de la maternité
Le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, a également montré la volonté des États membres d’aller plus loin dans l’admission des discriminations positives en faveur des femmes par l’insertion du paragraphe 4 (devenu l’article 157 du TFUE) selon lequel « Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ».
De cette évolution du droit de l’Union européenne s’est dégagé une conception différente, c’est-à-dire que l’octroi de mesures favorables aux femmes en raison de la grossesse et de la maternité ne doit plus être apprécié au titre des discriminations positives mais être considéré comme la simple application de la stricte égalité de traitement puisque, par définition, la grossesse et la maternité ne concernent que les femmes. Les discriminations positives relèvent dès lors nécessairement d’autres considérations ayant trait au rétablissement de l’égalité des chances en matière économique et sociale. Cette optique nouvelle est consacrée par la structure même de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
La chambre sociale juge donc que, si la journée du 8 mars, issue des luttes féministes, dépasse largement le périmètre du travail des femmes dans les entreprises, elle le concerne aussi très directement dans la mesure où les inégalités au travail, entre les hommes et les femmes, sont encore importantes, qu’il s’agisse des écarts de rémunération ou de la qualité des emplois. Les manifestations de quelque forme qu’elles soient, le 8 mars, permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer. La chambre sociale considère qu’il existe dès lors un lien entre cette journée et les conditions de travail, légitimant cette mesure, en faveur de l’égalité des chances, prévue par un accord collectif.
Cette décision rejoint les évolutions récentes de la chambre sociale cherchant à restituer aux partenaires sociaux dans les entreprises une large marge d’appréciation quant à la définition de la norme collective qui régira les relations de travail, évolution amorcée par les arrêts du 27 janvier 2015 établissant une présomption de conformité des accords collectifs au principe d’égalité de traitement
Si l’arrêt précise qu’il est rendu en application des articles L. 1142-4, L. 1143-1 et L. 1143-2 du code du travail, « interprétés à la lumière de l’article 157 paragraphe 4 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », c’est pour mieux expliciter l’article L. 1142-4 du code du travail qui, à propos de ces mesures positives en faveur des femmes, précise qu’elles ne peuvent être prises que par voie réglementaire, par voie de conventions ou d’accords collectifs étendus — ce qui exclut nécessairement un accord d’entreprise — ou en application du plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Or, il résulte des articles L. 1143-1 et L. 1143-2 du code du travail que ce plan pour l’égalité professionnelle, si aucun accord n’est intervenu au terme de la négociation, peut, après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, être mis en œuvre unilatéralement par l’employeur qui le transmet au directeur départemental du travail. Ces dispositions supposent donc nécessairement qu’un accord collectif d’entreprise puisse prendre des mesures positives au titre de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en application de l’article L. 1142-4 du code du travail. Le pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel ayant rejeté la demande de ce salarié de sexe masculin a donc été rejeté.
Faut-il aller plus loin en matière de discriminations positives dans le milieu professionnel ? Quid des gays, des gens de couleur, des handicapés,… qui, à l’instar des femmes, vivent au quotidien une inégalité insupportable et permanente et n’ont même pas l’occasion ni le bonheur, une fois par an, de pouvoir la festoyer aux frais de leur employeur ? Et si fort heureusement (ou malheureusement), toutes les discriminations positives se mettaient en place au cours des prochaines années ou décennies, seront-elles cumulables ? Dans l’affirmative, on pourrait aboutir pour certains jusqu'à quatre demi-journées de congé supplémentaires voire davantage pour, par exemple, une femme lesbienne noire handicapée.