Discriminations : Le port de tresses africaines ne peut être interdit aux stewards

Aboubakar Traoré. Capture d'écran.
Aboubakar Traoré. Capture d'écran.

« Les exigences liées à l’exercice de la profession de steward ne justifient pas d’interdire aux hommes une coiffure autorisée aux femmes », a jugé mercredi la chambre sociale de la Cour de cassation dans un différend opposant Air France à l’un de ses stewards portant des tresses africaines nouées en chignon.

Extrêmement riche factuellement pour un arrêt de cassation, on apprend ainsi qu’engagé le 7 mai 1998, Aboubakar Traoré s’est présenté, à compter de 2005, coiffé de tresses africaines nouées en chignon à l’embarquement, lequel lui a été refusé au motif qu’une telle coiffure « n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin » et il a alors, jusqu’en 2007, porté une perruque pour pouvoir embarquer et exercer ses fonctions.

Soutenant être victime d’une discrimination, il a, au mois de janvier 2012, saisi la juridiction prud’homale et le 13 avril de la même année, Air France lui a notifié une mise à pied sans solde de cinq jours pour « présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme ». Le « manuel de port de l’uniforme des personnels navigants commerciaux masculins » d’Air France — qui va devoir faire l’objet d’une mise à jour suite à cet arrêt — mentionne en effet que :

« Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisés ».

Déclaré définitivement inapte, le 17 février 2016, à exercer la fonction de personnel navigant commercial en raison d’un « syndrome dépressif » reconnu comme maladie professionnelle, M. Traoré a été licencié, le 5 février 2018 — après avoir bénéficié d’un congé de reconversion professionnelle et avoir confirmé qu’il ne souhaitait pas de reclassement au sol —, pour « inaptitude définitive et impossibilité de reclassement ».

Pour écarter la discrimination alléguée, débouter le salarié de toutes ses demandes et aller jusqu’à le condamner à payer 500 euros à Air France au titre de l’article 700 du code des procédure civile, les juges du fondParis, ch. 6-3, 6 nov. 2019, n° 21-14060, Aboubakar Traoré c/ Air France. avaient retenu que le « manuel [de port de l’uniforme des personnels navigants commerciaux masculins] n’instaure aucune différence entre cheveux lisses, bouclés ou crépus » et donc « aucune différence entre l’origine des salariés ». Il est reproché au salarié, souligne la cour de Paris, « sa coiffure », ce qui est « sans rapport avec la nature de ses cheveux », ajoutant que si le port de tresses africaines nouées en chignon est autorisé pour le personnel navigant féminin, cette différence « d’apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination » et estimant que la présentation du personnel navigant commercial fait « partie intégrante de l’image de marque de la compagnie, que le salarié est en contact avec la clientèle d’une grande compagnie de transport aérien qui comme toutes les autres compagnies aériennes impose le port de l’uniforme et une certaine image de marque immédiatement reconnaissable […] et la volonté de la compagnie de sauvegarder son image est une cause valable de limitation de la libre apparence des salariés » pour en déduire que les agissements d’Air France ne sont pas « motivés par une discrimination directe ou indirecte » et sont justifiés par « des raisons totalement étrangères à tout harcèlement ».

C’est loin d’être l’avis de la juridiction suprêmeSoc., 23 nov. 2022, n° 21-14060, Aboubakar Traoré c/ société Air France, intervention volontaire de l’association SOS Racisme-Touche pas à mon pote admise. qui, au visa des dispositions transposant en droit interne la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006, reproche au juge d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences de ses propres constatations. Interdire « au salarié de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon […] au motif que celle-ci n’était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin […] pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin » caractérise, dit pour droit la chambre sociale, « une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe ». L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée pour un réexamen des demandes de M. Traoré au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté d’Air France et d’autres demandes diverses et variées liées au contrat de travail.