Licenciement : La barémisation des indemnités validée mais les avocats ne désarment pas

La barémisation des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La formation plénière de la Cour de cassation pour avis a estimé hier que les dispositions du barème dit « Macron », codifiées à l’article L. 1235-3 du code du travail par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et fixant un plancher et un plafond d’indemnités dues au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les normes européennes et internationales que plusieurs conseils de prud’hommes avaient retenues pour y déroger.

Déclaré conforme par le Conseil constitutionnelCons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC, Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social., le texte met en effet en place un barème applicable à la fixation par le juge de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui doit être comprise entre des montants minimaux et maximaux, ces derniers variant, selon l’ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire brut.

S’agissant de la recevabilité de la demande d’avis, il convient de rappeler que depuis 2002, la Cour de cassation considérait que la question de la compatibilité d’une disposition de droit interne avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne relevait pas de la procédure d’avis, l’office du juge du fond étant de statuer sur cette compatibilitéCass., avis, 16 déc. 2002, n° 00-20.008, Bull. 2002, avis, n° 6. et il en allait de même pour le contrôle de compatibilité d’une disposition de droit interne avec d’autres normes internationales et notamment avec la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui relevait de l’examen préalable des juges du fond et échappait donc à la procédure de demande d’avisCass., avis, 12 juill. 2017, n° 17-70.009, Bull. 2017, avis, n° 9..

Mais « la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut [désormais] faire l’objet d’une demande d’avis », estime à présent à la Haute juridiction, dès lors que « son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond » car, souligne-t-elle dans une note explicative accompagnant les deux avisCass. avis, 17 juill. 2019, n° 19-70010, conseil de prud’hommes de Louviers ; n° 19-70011, conseil de prud’hommes de Toulouse. rendus hier, la procédure de demande d’avis a « pour objectif d’assurer, dans un souci de sécurité juridique, une unification rapide des réponses apportées à des questions juridiques nouvelles, au nombre desquelles figure l’analyse de la compatibilité de notre droit interne aux normes supranationales ». Cette évolution était déjà perceptible dans quelques avis récents où il était fait expressément référence aux principes posés par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentalesCiv. 2e, 7 févr. 2018, n° 17-70.038 ; 12 juill. 2018, n° 18-70.008..

Sur le fond, les Hauts magistrats avaient à se prononcer sur la compatibilité des dispositions critiquées avec les articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 §1 de la Convention car, selon la juridiction suprême, si le procès prud’homal est effectivement soumis aux exigences de la Convention et si le droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est « un droit à caractère civil » au sens de la Convention, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme distingue entre ce qui est « d’ordre procédural » et ce qui est « d’ordre matériel » et cette distinction détermine l’applicabilité et la portée des garanties de l’article 6 de la Convention lequel, en principe, ne peut s’appliquer aux « limitations matérielles d’un droit consacré par la législation interne »CEDH, 29 novembre 2016, n° 76943/11, Paroisse gréco-catholique Lupeni et a. c/ Roumanie.. Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail qui ne font « que » limiter le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne constituent donc pas « un obstacle procédural entravant leur accès à la justice », ce qui fait qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, précité.

Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct au motif que les termes de la Partie II de la Charte et ceux de l’article 24 lui « paraissent » comme laissant « une trop importante marge d’appréciation » aux parties contractantes pour « permettre à des particuliers de s’en prévaloir dans le cadre d’un litige devant les juridictions judiciaires nationales ».

Quant à l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT, s’il est admis qu’il est d’application directe en droit interne, la formation plénière pour avis retient que le terme « adéquat » doit être « compris » comme réservant aux États parties « une marge d’appréciation » suffisamment large dans la mesure où, de surcroît, en droit français, lorsque le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise et cas de refus par l’une ou l’autre des parties, il octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Ce barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est, en application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du même code, écarté en cas de nullité du licenciement, ce qui permet à la Cour de cassation d’en déduire que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 précité, l’Etat n’ayant fait qu’user de « sa marge d’appréciation ».

Le Syndicat des avocats de France (SAF), dont l’intervention volontaire, à l’instar de celle de l’association Avosial, est jugée irrecevable faute d’un « intérêt à intervenir dans [cette] procédure d’avis qui n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences pour l’ensemble de [ses] adhérents », n’est guère convaincu par ces deux avis destinés « à "sécuriser" les licenciements et les employeurs » et rappelle que, selon l’article L. 441-3 du code de l’organisation judiciaire, « l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande » et encore moins les autres juridictions et il est même arrivé que la Cour de cassation elle-même ne suive pas ses propres avispar exemple, Civ. 2e, 30 janv. 2014, n° 12-24145, X c/ société Sophia Publications., de même qu’un arrêt rendu par la Cour de cassation ne lie pas les juges du fond.

Les juges restent donc « parfaitement libres », selon le syndicat, d’écarter le plafonnement, soit en refusant de suivre l’avis de la Cour de cassation, soit « au regard des faits propres à chaque dossier qui leur est soumis ». Le débat sur la barémisation des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne serait donc pas clos. Pour le SAF, il n’est pas question de « laisser le droit du travail français sombrer dans un déséquilibre honteux et dangereux qui spolie les salariés de leur à ne pas être licencié sans motif valable ou à en être à tout le moins indemnisé par un juge en capacité de réparer leur préjudice de manière "adéquate" ».