Participation salariale : La restructuration de WKF jugée frauduleuse et inopposable aux salariés

Wolters Kluwer France

La cour d’appel de Versailles a jugé l’opération de restructuration intervenue en juin 2007 des filiales françaises du groupe hollandais Wolters Kluwer, un spécialiste de l’information juridique et fiscale présent dans 170 pays, constitutive d’une « manœuvre frauduleuse, à l’égard du comité d’entreprise et des salariés de la société Wolters Kluwer France » et l’a déclarée « inopposable à ces derniers, dans les effets de l’emprunt de 445 millions d’euros auprès de la société mère HWKF, sur la réserve spéciale de participation ».

L’activité en France du groupe Wolters Kluwer (WK) était composée avant l’opération de restructuration « Cosmos » opérée en juin 2007 de 11 structures juridiques, dont les sociétés Lamy et Groupe Liaisons, qui ont été dissoutes et transmises à leur actionnaire unique, Wolters Kluwer France (WKF), moyennant un emprunt de 445 millions d’euros sur 15 ans au taux Euribor 3 mois plus 2,75 % (soit 7,3 %, 7,4 % et 4,3 % pour 2007, 2008 et 2009 respectivement) jugé excessif pour une opération intra-groupe par l’expert, Alain Abergel, désigné par le tribunal de commerce, contracté auprès de la maison-mère, la Holding Wolters Kluwer France (HWKF), ce qui a eu pour effet mécanique de réduire le résultat net et de supprimer tout versement de participation aux salariés pour les années 2008 à 2010 et une participation limitée à 329 285 euros pour l’année 2007 alors que le montant de la participation se situait autour de 5 millions d’euros pour les années 2004 à 2006.

Après de multiples procédures devant les juridictions commerciale (expertise quant au non-versement de la participation) et pénale (entrave au fonctionnement régulier du CE), quatre syndicats ont assigné les sociétés WKF et HWKF devant la juridiction civile de Nanterre pour que l’opération de restructuration soit déclarée inopposable aux salariés et obtenir la reconstitution d’une réserve spéciale de participation pour les exercices 2007 à 2022 à répartir entre les salariés.

Pour infirmer la décision rendue par les premiers juges qui avaient retenu que les demandes formulées par les quatre syndicats revenaient à mettre en cause les attestations du commissaire aux comptes KPMG aux termes desquelles ce dernier ne formulait aucune observation sur le montant du bénéfice net et des capitaux propres de la société WKF pour les années 2008 à 2012, la cour de VersaillesVersailles, 6e ch., 2 févr. 2016, n° 15/01292, UFICT-CGT, SIPM-CNT, SNJ, SNE-CFDT et UGICT CGT (intervenante volontaire) c/ sociétés Wolters Kluwer France et Holding Wolters Kluwer France. souligne que les syndicats ne remettent nullement en cause la sincérité des attestations mais sollicitent « seulement que l’opération de restructuration Cosmos soit déclarée inopposable aux salariés de la société WKF » avec pour seule conséquence : la réintroduction dans le bénéfice net des sommes soustraites abusivement à ce bénéfice par les charges de l’emprunt litigieux pour reconstituer la réserve de participation.

En cas de fraude, le juge judiciaire peut remettre en cause des comptes certifiés par un commissaire aux comptes
Cour d'appel de Versailles, 2 févr. 2016, n° 15/01292, Wolters Kluwer France.

Malgré les dispositions de l’article L. 3326-1 du code du travail qui ne permettent pas de remettre en cause les attestations du commissaire aux comptes « à l’occasion des litiges nés de l’application des dispositions relatives à la participation », la cour considère que cela ne peut faire obstacle à ce que le juge judiciaire saisi « remette en cause, en cas de fraude la société WKF, les comptes certifiés par ce professionnel sur la base des informations fournies par la société », le commissaire aux comptes n’étant pas un organe administratif et son attestation n’étant pas un acte administratif, estime la cour utile d’ajouter.

En résumé, si l’opération de restructuration a sans doute été fortement bénéfique pour la holding, elle a complètement obéré la rentabilité de la société opérationnelle et réduit à néant tout versement de participation aux salariés tout en s’abstenant de communiquer au CE les documents comptables et financiers prévisionnels pour les années 2008 et 2009. Et la cour d’appel d’approuver des deux mains, l’inspecteur du travail qui avait également relevé que ces omissions délibérées sont d’autant plus graves que la société WKF « assure notamment l’édition et la diffusion d’ouvrages de droit du travail, de sorte qu’elle était particulièrement bien placée pour avoir connaissance des dispositions légales à respecter ».

Pour la cour, par leurs manœuvres frauduleuses, constituées à la fois par la non-communication au CE des documents comptables légalement obligatoires et par un discours trompeur auprès du CE, les sociétés WKF et HWKF ont sciemment dissimulé au CE de la société WKF « l’augmentation importante de l’endettement de la société WKF ayant pour effet direct l’absence de réserve spéciale de participation et donc du versement de cette participation aux salariés, avant et après l’opération intervenue en juin 2007 ».

Il est donc fait droit aux demandes des quatre syndicats dans des termes assez durs pour le spécialiste en matière de droit fiscal et de droit social. Il est sursis à statuer sur le montant précis de cette réserve de participation pour les années 2007 à 2015 que pourront se partager les salariés dans l’attente d’une expertise-comptable confiée au même expert désigné en 2011 par le tribunal de commerce.

L’affaire devrait être de nouveau évoquée le 6 décembre prochain mais il en coûte d’ores et déjà 58 000 euros à WK, 10 000 euros de dommages-intérêts et 2 000 euros de frais irrépétibles à chacun des quatre syndicats, outre une provision de 10 000 euros pour l’expertise.