Preuve : Licéité des documents copiés par des délégués du personnel

Enseignes du groupe Vivarte.
Enseignes du groupe Vivarte.

Constitue un moyen de preuve licite, a jugé la Cour de cassation, la copie de documents que les délégués du personnel ont pu consulter à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et leur production ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée personnelle des salariés concernés au regard du but poursuivi.

En l’espèce, une décision de justice avait interdit, sous astreinte, à la société Compagnie européenne de la chaussure de faire travailler des salariés le dimanche et le syndicat CFTC des salariés Vivarte, pour prouver que la société ne respectait pas cette interdiction, avait saisi un tribunal avec, à l’appui de sa démonstration, des photographies de documents qu’un délégué du personnel avait le droit, en application de l’article L. 3171-2 du code du travail, de consulter : décomptes du temps de travail des salariés, plannings horaires, contrats de travail, bulletins de paie,…

La cour d’appel de Versailles avait retenu que la simple consultation prévue par l’article L. 3171-2 précité au bénéfice des délégués du personnel « exclut toute appropriation par ces derniers des documents appartenant à la société, par quelque moyen que ce soit, notamment par copie ou photographie […] la consultation des documents de l’entreprise visés par ce texte n’impliquant aucune possibilité de photographie et encore moins de production en justice, les photographies doivent être considérées comme constituant un moyen de preuve illicite non susceptible d’établir la réalité des infractions alléguées ».

Les photographies des contrats de travail et avenants ainsi que des bulletins de salaire de salariés, susceptibles de faire apparaître l’existence d’heures de travail le dimanche, ainsi que des lettres de salariés se portant volontaires pour travailler le dimanche, ont également été prises par une déléguée du personnel, estimait en outre le juge d’appel, « sans qu’il soit justifié de l’accord des salariés concernés à la production de ces documents contenant des données personnelles » pour retenir que les photographies de ces documents « ne constituent pas des moyens de preuve admissibles ».

Censure au visa de l’article L. 3171-2 par la chambre sociale de la Cour de cassationSoc., 9 nov. 2016, n° 15-10203, syndicat CFTC des salariés Vivarte c/ société Compagnie européenne de la chaussure. qui juge que cet article qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée du travail n’interdit pas à un syndicat de les produire en justice et que le droit de la preuve peut « justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».

L’article 9 du code de procédure civile, qui impose à chacune des parties au procès civil de prouver les faits qu’elle allègue au soutien de sa prétention, précise que cette preuve doit être rapportée « conformément à la loi », rappelle la Cour de cassation dans une « note explicative » de cet arrêt de principe. Il n’est ainsi pas admis, à titre de preuve, des éléments contenant des informations relevant de la vie privée ou qui ont été obtenus par un procédé y portant atteinteSoc., 22 mars 2011, n° 09-43204, portant sur l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée à l’insu du salarié. Mais s’agissant des mesures d’instruction in futurum, la jurisprudence de la Chambre sociale retenait jusqu’à présent que la vie personnelle du salarié ne constituait pas un obstacle à une communication de pièces lorsque celle-ci procédait d’un motif légitime et était nécessaire à la protection des droits de la partie qui sollicitait cette communicationSoc., 19 déc. 2012, n° 10-20526 et 10-20.528, Bull. 2012, V, n° 341..

Il est cependant apparu à la Cour de cassation que la question de l’articulation entre les nécessités de la preuve et le respect dû à la vie privée devait être examinée à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a reconnu, sur le fondement de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « le droit d’une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves »CEDH, 27 oct. 1993, Bombo Beheer B.V. c/ Pays-Bas, série A, n° 274, § 33 ; CEDH, 13 mai 2008, N.N. et T.A. c/ Belgique, n° 65097/01, §42, ou, autrement dit, un « droit à la preuve »CEDH, 10 oct. 2006, L.L. c/ France, n° 7508/02, § 40.. Elle a, explique la Cour de cassation, invité les juges nationaux « à aborder la recevabilité d’un mode a priori inadmissible ou suspect à travers le prisme d’un rapport de proportionnalité entre les intérêts que le secret protège et ceux à la satisfaction desquels il fait obstacle, dès lors que, dans cette mise en balance, l’atteinte au secret paraît moindre, et constituer le seul moyen de faire triompher une légitime prétention de fond »in Rapport annuel 2012, Cour de cassation, La preuve, p. 329..

C’est ainsi que la Cour de cassation procède à présent à ce contrôle de proportionnalité, en affirmant que le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuiviCiv. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12403..