Administration de la preuve : Le concours de la police à une personne privée censuré

Catherine Graciet et Éric Laurent. Photomontage.
Catherine Graciet et Éric Laurent. Photomontage.

La cour de cassation a cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction de Paris qui avait dit n’y avoir lieu à annulation des enregistrements et retranscriptions sollicitée par les deux journalistes, Éric Laurent et Catherine Graciet, qui avaient tenté d’extorquer des fonds au Roi du Maroc pour s’abstenir de publier un second livre critique.

Pour la chambre criminelleCrim. 20 sept. 2016, n° 16-80820, Éric Laurent et Catherine Graciet c/ parquet général., au visa des articles 6 de la convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure, porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves, « la participation de l’autorité publique à l’administration d’une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée ».

Ayant publié un premier ouvrage très critique en mars 2012 sur Mohamed VI intitulé « le Roi prédateur », les deux journalistes avaient conclu avec les éditions du Seuil un second contrat portant sur la publication d’un livre enquête relatif, lui aussi, à la monarchie chérifienne et plus particulièrement à la famille royale. Éric Laurent avait pris contact avec le secrétariat du roi du Maroc et une première rencontre a eu lieu, le 11 août 2015 à l’hôtel Royal Monceau, avec le représentant du Roi, Me Naciri, qui a enregistré leur conversation à l’aide de son téléphone portable.

Le 20 août 2015, Me Boussier, avocat à Paris, a dénoncé par écrit au parquet de Paris les faits qu’il qualifiait de « tentative de chantage et extorsion de fonds » en lui transmettant la retranscription par huissier de justice de la conversation que son confrère Naciri avait eue avec M. Laurent et en affirmant que celui-ci avait proposé de renoncer à la parution de son ouvrage moyennant le versement d’une somme de 3 millions d’euros.

Le parquet a aussitôt diligenté une enquête préliminaire « pour des faits de tentative d’extorsion de fonds » et deux autres rendez-vous ont eu lieu, l’un, le 21 août, entre Me Naciri et M. Laurent et l’autre, le 27 août, entre les deux premiers et Mme Graciet au cours duquel il leur a été remis à chacun 40 000 euros en espèces à titre d’acompte contre l’engagement de renoncer à la publication de leur nouvel ouvrage moyennant le versement d’une somme de 2 millions d’euros. Pour ces deux rencontres, les enquêteurs avaient mis en place un dispositif de surveillances physiques puis requis des hôtels concernés la remise des bandes de vidéo-surveillance et c’est sur les enregistrements et retranscriptions de ces deux dernières rencontres que portait la demande d’annulation à la suite de leur mise en examen, les 28 et 29 août 2015, des chefs de chantage et d’extorsion de fonds.

La cour de cassation est fort critique à l’égard de la chambre de l’instruction qui avait refusé de faire droit à la demande d’annulation alors qu’elle avait relevé, dit la juridiction suprême, « la présence constante des enquêteurs sur les lieux des rencontres des 21 et 27 août 2015, la remise aux policiers par le représentant du plaignant des enregistrements litigieux dès la fin de ces rencontres, suivie, le lendemain ou le surlendemain, de leur retranscription par les enquêteurs, et les contacts réguliers entre ces derniers et le représentant du plaignant, d’une part, et l’autorité judiciaire, d’autre part, pendant ces rencontres ayant conduit à l’interpellation des mis en cause à l’issue de la seconde d’entre elles », ce dont il se déduisait, estime-t-elle, que « l’autorité publique avait participé indirectement à l’obtention des enregistrements, par un particulier, sans le consentement des intéressés, de propos tenus par eux à titre privé ».

Le dossier est renvoyé devant la chambre de l'instruction de Reims pour statuer sur la nullité de ces enregistrements et retranscriptions.

Lire aussi :
► Administration de la preuve : Le concours de la police à une personne privée légalisé, Alfredo Allegra, 10 nov. 2017.

Commentaires

Parquet sur chapeaux de roues !
Portrait de renehoffer
Le 20 août 2015 (...) dénoncé par écrit au parquet de Paris (...) en lui transmettant la retranscription (...) Le parquet a aussitôt diligenté une enquête préliminaire (...) et deux autres rendez-vous ont eu lieu, l’un, le 21 août (...) et l’autre, le 27 août (...) « la présence constante des enquêteurs sur les lieux des rencontres des 21 et 27 août 2015, la remise aux policiers par le représentant du plaignant des enregistrements litigieux dès la fin de ces rencontres, suivie, le lendemain ou le surlendemain, de leur retranscription par les enquêteurs (...) ». Euh ça n'a vraiment pas "traîné"... pour plaire au roi du Maroc ? hahahahahaha rollstahiti@gmail.com