Burkini : Le Conseil d’État suspend l'arrêté du maire de Villeneuve-Loubet

Le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l’arrêté pris par le maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) interdisant le port du burkini sur les plages de sa commune au motif qu’il ne résulte pas de l’instruction que « des risques de trouble à l’ordre public aient résulté […] de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes ».
À l’instar d’autres communes dans le sud et le nord de la France, Lionnel Luca, député-maire LR de Villeneuve-Loubet, avait procédé à l’abrogation des dispositions antérieures en la matière et pris un nouvel arrêté
« Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune ».
Saisi le 16 août 2016 par deux associations sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative lui fixant un délai de 48 heures pour se prononcer en cas d’ « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale, le tribunal administratif de Nice
Dans une décision extrêmement brève et concise, la Haute juridiction administrative
Sans excéder ses pouvoirs de police, un maire ne peut, rappelle le juge des référés, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et à la baignade alors qu’elles ne reposent « ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence » et l’arrêté porte donc « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».
Pour le tribunal de Nice, en revanche, la liberté d’aller et venir n’était pas en cause en l’espèce car il estimait qu’il s’agissait simplement d’une « restriction de liberté de circulation » mais s’agissant « du fait de pouvoir circuler librement en affichant de façon ostentatoire des signes religieux, [elle] peut être regardée comme le corollaire des libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression, dans des formes appropriées, de ses convictions religieuses et la liberté de conscience », elle relève, indiquait-il, de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui — sauf restrictions par la loi quant à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui — garantit à chacun la liberté de pensée, de conscience et de religion et la question se résumait à savoir « si le port du […] birkini sur les plages de [Villeneuve-Loubet] correspond à l’expression appropriée de convictions religieuses ».
Et pour juger que le burkini sur les plages de la commune de Villeneuve-Louvet ne pouvait être regardé comme constituant une expression appropriée des convictions religieuses, le tribunal administratif de Nice avait considéré — pour résumer brièvement un très long attendu — que la femme musulmane a non seulement besoin d’être protégée contre les siens mais aussi contre elle-même.
La coexistence des religions, élément constitutif du principe de laïcité, « est combattue, disait ainsi le tribunal, par le fondamentalisme religieux islamiste qui prône une pratique radicale de la religion incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française et le principe d’égalité des sexes » et c’est pour cette raison que l’affichage, de manière ostentatoire, de convictions religieuses par le port d’un vêtement est « susceptible » (sic !) d’être « interprété » comme relevant de ce fondamentalisme religieux, cela porte atteinte « aux convictions ou à l’absence de convictions religieuses des autres usagers de la plage » ou être ressenti par certains comme « une défiance ou une provocation exacerbant les tensions ressenties par la population à la suite de la succession d’attentats islamistes subis en France, dont celui de Nice le 14 juillet 2016 et le dernier du 26 juillet 2016 qui a directement visé la religion chrétienne ».
Le burkini, poursuivait le tribunal, peut également être perçu comme l’expression d’une revendication identitaire et même si certaines femmes le portent pour afficher simplement leur religiosité, il peut également être « analysé comme l’expression d’un effacement de [la femme] et un abaissement de sa place qui n’est pas conforme à son statut dans une société démocratique ». Il convient donc de protéger la femme musulmane contre les siens mais également contre elle-même pour lui permettre de vivre dignement dans une société démocratique et, argument massue ultime, dans un État laïc, « les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer de façon ostentatoire ses convictions religieuses […] elles n’ont pas vocation à être érigées en lieux de culte, et doivent rester au contraire un lieu de neutralité religieuse ».
Une décision qui met le premier ministre Manuel Valls dans une situation assez inconfortable, il avait en effet déclaré, le 17 août, « comprendre et soutenir » la trentaine de maires qui ont pris des arrêtés pour interdire le burkini sur les plages et avait rappelé « à l'ordre » quelques-uns de ses ministres réfractaires.