Conseil d'État : Pas de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable

Le destinataire d’une décision ne comportant pas les voies et délais de recours ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà « d’un délai raisonnable » qui ne saurait excéder un an, à jugé le Conseil d'État à l’occasion d'un recours contre un arrêté notifié plus de 22 ans auparavant.
L’ancien article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel repris à l'article R. 421-5 de l’actuel code de justice administrative dispose que « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision », ce qui implique que la notification doit, outre indiquer les délais dans lesquels le recours peut être exercé, mentionner :
- l'existence ou non d'un recours administratif préalable obligatoire et l'autorité devant laquelle il doit être porté,
- ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, l’indication qu’il peut être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle.
Saisi courant 2014, par un ancien brigadier de police d’un recours à l’encontre d’un arrêté du 24 juin 1991 lui concédant une pension de retraite, notifié le 26 septembre 1991 mentionnant correctement le délai de recours contentieux mais ne contenant aucune indication quant à la juridiction compétente, un tribunal administratif
Pourvoi du brigadier et la question d’une application stricte des dispositions litigieuses a été prise très au sérieuse par le Conseil d’État qui a pris le soin de la faire trancher en « Assemblée du contentieux »
Il était ainsi envisagé soit que l'action en contestation de la légalité de cette décision devant le juge administratif soit définitivement prescrite par cinq ans, soit que l’action serait irrecevable comme tardive à l’issue d’ « un délai raisonnable » avec la difficulté de déterminer la durée de ce délai raisonnable.
C’est cette seconde alternative qui a été retenue par cet arrêt
En pareille hypothèse, selon la Haute Assemblée, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, « le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable […] en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ».
Le Conseil d’État croit utile de préciser que cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, « ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ».
Pour ce qui est de l’affaire qui a donné naissance à cette règle nouvelle, la Haute juridiction constate que le recours du brigadier à l’encontre d’un arrêté plus de 22 ans après sa notification excède le délai raisonnable durant lequel il pouvait être exercé et sa requête est donc rejetée comme tardive.
Cette règle au nom du principe de sécurité juridique n’est pas du goût de tout le monde et un professeur de droit et avocat en demande l’abrogation dans une lettre au président de la République François Hollande, publiée le 14 juillet 2016 par le blog Droit administratif.
Frédéric Rolin, professeur de droit public et de droit immobilier à l’université de Paris-Sud et avocat au barreau d’Evry (Essonne) depuis décembre 2003, considère que cette décision constitue « une atteinte grave à la substance du droit au recours » pour en demander l’abrogation et lui substituer « une disposition maintenant de manière perpétuelle l’absence de computation du délai de recours contre une décision ne mentionnant pas les voies et délais de recours ». Une initiative vouée à l'échec et le Conseil d'État sera le juge d'un éventuel défaut de réponse ou d'une réponse négative.