Domaine public : Le pleurant du tombeau des ducs de Bourgogne appartient à l’État

Tombeau du Duc Philippe le Hardi, Palais des Ducs de Bourgogne, Dijon.
Tombeau du Duc Philippe le Hardi, Palais des Ducs de Bourgogne, Dijon.

Le Conseil d’État confirme la décision des juges du fond faisant interdiction à la maison Pierre Bergé de vendre et exporter le « moine pleurant n° 17 » provenant du tombeau de Philippe II le Hardi et ordonnant sa restitution immédiate à l’État.

La famille, détentrice depuis 1813 de cette statuette médiévale d’albâtre représentant un moine pleurant et provenant du tombeau de Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne, édifié entre 1340 et 1410 dans l’oratoire de la chartreuse de Champmol, avait souhaité la vendre aux enchères et avait pris attache pour cela avec la société Pierre Bergé et associés qui a sollicité du ministre de la culture un certificat d’exportation en vue d’une éventuelle sortie définitive du territoire national pour cette statue, lequel a refusé, le 3 décembre 2014, de délivrer un tel certificat et a exigé la restitution sans délai de la statuette au motif qu’elle « appartenait au domaine public de l’État ».

C’est cette décision qui a été contestée devant le tribunal administratif de ParisTA Paris, 5 nov. 2015, n° 1430948, société Pierre Bergé et associés c/ ministère de la culture. et ensuite devant la cour administrative de ParisCAA Paris, 13 janv. 2017, n° 15PA04256, société Pierre Bergé et associés c/ ministère de la culture. et qui ont, tous deux, rejeté la requête avant qu’elle ne soit soumise à la censure du Conseil d’État mais qui ne fait que confirmerCE, 21 juin 2018, n° 408822, société Pierre Bergé et associés c/ ministère de la culture. l’analyse des juges du fond selon laquelle la statuette appartient effectivement à l’État.

Les détenteurs de la statuette invoquaient le bénéfice de la prescription acquisitive prévue par le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 relatif aux domaines nationaux car à l’instar de tous les biens ecclésiastiques, la statuette avait été incorporée au domaine national au moment de la Révolution française mais le Conseil d’État considère toutefois qu’une telle prescription n’est susceptible de jouer que pour « les biens dont "un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi" a préalablement autorisé l’aliénation » et tel n’est pas le cas de la statuette en cause, ce qui fait que quelle que soit la bonne foi de la famille détentrice de la statuette depuis 1813, la prescription acquisitive n’a pas pu jouer et l’État est demeuré propriétaire de la statuette. 

Il était également excipé, pour contester la restitution de la statuette à l’État, du droit au respect des biens garanti par le Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sur ce point, le Conseil d’État estime que, compte tenu de la durée pendant laquelle la statuette litigieuse a été détenue par les requérantes sans initiative de l’État pour la récupérer, ces dernières peuvent effectivement se prévaloir du droit au respect de leurs biens mais, car il y a un mais, « l’intérêt patrimonial de la statuette justifie qu’elle soit rendue à son propriétaire, c'est-à-dire à l’État, sans que soit méconnue l’exigence de respect d’un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l’intérêt public majeur qui s’attache à la protection de cette œuvre d’art ».