Fibre optique : La sanction de 40 millions d’euros infligée à Altice/SFR confirmée

Altice SFR

Le Conseil d’État a rejeté le recours des sociétés Altice et SFR à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence qui leur avait infligé une sanction pécuniaire de 40 millions d’euros et plusieurs injonctions sous astreintes pour des manquements à leurs engagements relatifs à l’exécution du contrat dit « Faber ».

L’Autorité de la concurrence avait autorisé, le 30 octobre 2014, la prise de contrôle de SFR par Numericable, filiale du groupe Altice, sous réserve du respect de plusieurs engagements relatifs aux obligations résultant d’un accord de co-investissement dans la fibre optique en zone très dense conclu entre SFR et Bouygues Telecom en novembre 2010, dit contrat « Faber », prévoyant la construction d’une infrastructure de fourniture d’un accès à internet à très haut débit concurrente de celle de Numericable, reposant sur le déploiement « horizontal » d’un réseau de fibre optique et le raccordement de ce réseau à des « points de mutualisation » pour permettre aux opérateurs de desservir les immeubles équipés en fibre optique, opération désignée sous le terme d’« adduction ».

La prise de contrôle de SFR par Numericable était, selon l’Autorité de la concurrence, de nature à avoir des effets anticoncurrentiels et avait aussi pour effet de remettre en cause l’incitation pour SFR à respecter les obligations du contrat « Faber » dans la zone couverte par le réseau câblé de Numericable et donnait ainsi à cette nouvelle entité la capacité d’entraver le déploiement de l’infrastructure de Bouygues Télécom en fibre optique en gelant ou en ralentissement l’exécution des travaux de raccordement du réseau construit en commun avec SFR.

Pour prévenir ces effets anticoncurrentiels, les sociétés Altice et Numericable se sont notamment engagées « à réaliser sous deux ans, sauf difficultés d’exécution dûment justifiées, les "adductions" prévues au contrat Faber de l’ensemble des "points de mutualisation" livrés à la date de la décision de l’Autorité de la concurrence autorisant l’opération de concentration » (engagement n° 30), « à réaliser dans un délai de trois mois, sauf difficultés d’exécution dûment justifiées, les "adductions" commandées par Bouygues Télécom pour les immeubles pour lesquels les "points de mutualisation" seraient livrés après la date de la décision de l’Autorité de la concurrence » (engagement n° 31) et « à assurer la maintenance de l’infrastructure du réseau relevant du contrat Faber de manière transparente et non discriminatoire vis-à-vis de Bouygues Télécom » (engagement n° 33).

Plusieurs plaintes ont amené l’Autorité de la concurrence à se saisir, au mois d’octobre 2015, des conditions dans lesquelles les sociétés Altice et Numéricable mettaient en œuvre ces engagements et par une décision du 8 mars 2017, elle a constaté des manquements dans l’exécution des engagements précités qu’elle a qualifiés de « particulièrement graves » et « de nature à vider, dans une large mesure, ces engagements de leur portée », ce qui conduit à leur infliger une sanction pécuniaire de 40 millions d’euros assortie de plusieurs injonctions sous astreintes visant à faire cesser les manquements constatés.

Le Conseil d’ÉtatCE, 28 sept. 2017, n° 409770, société Altice Luxembourg et SFR Group c/ Autorité de la concurrence. rejette ce recours pour ce qui est des manquements relevés au respect de l’engagement n° 30 relatif à la réalisation dans un délai de deux ans des « adductions » prévues au contrat « Faber » de l’ensemble des « points de mutualisation » livrés à la date de la décision attaquée en estimant que cet engagement visait tant les « points de mutualisation » situés à l’extérieur des immeubles que ceux situés à l’intérieur et juge que l’obligation de justifier des éventuelles difficultés d’exécution rencontrées impliquait « d’exposer de manière exhaustive ces difficultés, de transmettre ces informations au mandataire, de mettre en place un processus de relance en cas de difficultés d’exécution et de recourir à l’ensemble des moyens prévus par la législation et le contrat Faber pour y faire face ».

En l’espèce, le haute juridiction administrative relève que, alors que le nombre de raccordements de « points de mutualisation » à effectuer au titre de cet engagement était d’environ 9 500, les sociétés, dans 6 200 cas environ, soit ont estimé que ces points étaient définitivement impossibles à raccorder, soit n’ont fait aucune tentative d’« adduction », sans justifier des difficultés d’exécution rencontrées ni mettre en place de procédures de réexamen, à intervalles réguliers, des démarches nécessaires pour raccorder tous les « points de mutualisation » concernés.

En ce qui concerne les manquements relevés au respect de l’engagement n° 31 relatif à la réalisation dans un délai de trois mois des « adductions » commandées par Bouygues Télécom pour les immeubles pour lesquels les « points de mutualisation » devaient être livrés après la date de la décision autorisant l’opération de concentration, le Conseil d’État juge d’abord, de la même manière que pour l’engagement n° 30, que cet engagement vise tous les types de « points de mutualisation » et qu’il implique pour les sociétés de justifier, dans les mêmes conditions, des éventuelles difficultés d’exécution rencontrées. Ensuite, s’agissant de l’avenant au contrat Faber, dont la conclusion était prévue par l’engagement n° 31, pour permettre à Bouygues Telecom de commander, une fois par trimestre, aux sociétés requérantes, l’« adduction » d’une liste d’immeubles conventionnés de son choix, le Conseil d’État relève que le retard de signature de cet avenant est entièrement imputable aux requérantes et que, par ailleurs le délai de trois mois fixé par l’engagement n° 31 pour réaliser les « adductions » commandées par Bouygues Télécom n’a pas été respecté, les requérantes n’ayant procédé à aucune tentative d’« adduction » dans 12 % des cas, ni justifié de difficultés d’exécution s’opposant, selon elles, au raccordement d’environ 40 % des « points de mutualisation » commandés. À l’argument selon lequel les engagements pris étaient « particulièrement difficiles à respecter », le Conseil d’État estime que les parties à l’opération de concentration pouvaient faire état devant l’Autorité de la concurrence de circonstances de droit ou de fait nouvelles justifiant qu’elles soient déliées de tout ou partie de leurs engagements et précise que seule une décision de l’Autorité pouvait les délier de leurs obligations et, au cas particulier, les requérantes n’ont jamais engagé une telle démarche de sorte que l’Autorité n’a pas, non plus, méconnu la portée de l’engagement n° 31 ni commis d’erreur en estimant que les sociétés avaient manqué à cet engagement.

Enfin, s’agissant des manquements à l’engagement n° 33 relatif à la maintenance de l’infrastructure du réseau relevant du contrat Faber de manière transparente et non discriminatoire vis-à-vis de Bouygues Télécom, le Conseil d’État relève que les conditions de maintenance du réseau se sont fortement dégradées depuis la date de la décision autorisant l’opération de concentration, tant en termes de délais de traitement des incidents qu’en ce qui concerne la climatisation des « nœuds de raccordement optiques », dont la température a par moments atteint des niveaux excessifs et causé des interruptions de service en 2015 et 2016. Il est en outre relevé qu’en raison du retard des requérantes à proposer des indicateurs de qualité permettant d’assurer le suivi de la maintenance du réseau, ce suivi n’a pu débuter qu’au terme d’une période de neuf mois, ce qui justifie que l’Autorité n’a pas méconnu la portée de l’engagement n°33 et n’a commis aucune erreur en estimant que les sociétés avaient manqué aux obligations qui leur incombaient à ce titre. 

Après avoir écarté toues les critiques concernant la méconnaissance de la portée des engagements pris pour l’exécution du contrat Faber, le Conseil d’État rejette aussi les critiques dirigées contre les sanctions d’injonctions sous astreintes prononcées à leur encontre en application des articles L. 430-8 et L. 464-2 du code de commerce. En effet, par sa décision attaquée du 8 mars 2017, l’Autorité a, au titre du non-respect des engagements n° 30 et 31, enjoint sous astreintes progressives aux sociétés de procéder, dans un délai de 12 mois à compter de la notification de sa décision, à l’ « adduction » de l’ensemble des « points de mutualisation » livrés à la date de la décision d’autorisation de la concentration (le stock) et de l’ensemble des points de mutualisation commandés par Bouygues Telecom entre juillet 2015 et juillet 2016 et non effectivement « adductés » (le nouveau stock), sauf difficultés d’exécution dûment justifiées. Au titre de l’engagement n° 31, elle a également enjoint, sans assortir cette injonction d’une astreinte, de réaliser les « adductions » de points de mutualisation commandées trimestriellement par Bouygues Telecom, postérieurement à juillet 2016, dans les délais et conditions prévues par cet engagement. Enfin, au titre du non-respect de l’engagement n° 33, l’Autorité a enjoint aux sociétés d’assurer la maintenance de l’infrastructure relevant du contrat Faber dans les conditions prévues par celui-ci, sans assortir non plus cette injonction d’une astreinte.

Pour écarter les critiques soulevées, le Conseil d’État applique les critères auxquels il recourt habituellement pour apprécier le caractère adapté, nécessaire et proportionné d’injonctions prononcées par l’Autorité, qui tiennent à l’importance des engagements méconnus, à l’ampleur des manquements constatés et aux conséquences de ces manquements sur l’état de la concurrence, et en l’espèce, les engagements n° 30, 31 et 33 revêtaient une grande importance en ce qu’ils avaient pour objet de prévenir « un déséquilibre concurrentiel sur le marché de détail de la fourniture d’accès à internet à très haut débit et les marchés de gros situés en amont, qui revêtent une importance stratégique pour le secteur des télécommunications ».

Contrairement à ce qu’il était soutenu, les injonctions prononcées par l’Autorité ne sont pas considérées comme portant sur un périmètre différent de celui des engagements pris et le délai d’un an fixé par l’Autorité pour la mise en œuvre des injonctions prononcées ne méconnaît pas le principe de proportionnalité dans la mesure où le raccordement en un an de 12 300 « points de mutualisation » environ suppose une capacité moyenne d’ « adduction » des deux sociétés de 1000 « points de mutualisation » par mois qui est un rythme « déjà atteint par le passé » et s’il s’y ajoutent ceux découlant des commandes trimestrielles de Bouygues Télécom résultant du contrat Faber, il n’est pas démontré qu’il leur serait matériellement impossible d’effectuer ces raccordements si elles décidaient d’allouer les ressources humaines et financières nécessaires à leur réalisation. Une mise au point on ne peut plus salutaire.