Insémination post-mortem : Le Conseil d'État autorise l'exportation de gamètes

Malgré les dispositions de la législation française en la matière, le Conseil d'État autorise l'exportation de gamètes vers l'Espagne compte tenu de « la situation très particulière de l'intéressée et de son défunt mari ».
Ils avaient formé, ensemble, le projet d'avoir un enfant et en raison d’une maladie grave dont le traitement risquait de le rendre stérile, l'époux décédé avait procédé, à titre préventif, à un dépôt de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Tenon, dans l’intention de bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Le projet, tel qu’initialement conçu, n’a toutefois pu aboutir en raison de la détérioration rapide de l’état de santé du mari qui a entraîné son décès le 9 juillet 2015.
Avant son décès, le mari avait explicitement consenti à ce que son épouse puisse bénéficier d’une insémination artificielle avec ses gamètes à titre posthume en Espagne, leur pays d’origine où l’insémination post mortem est autorisée.Après le décès de son époux, Mariana Gomez-Turri, qui est retournée vivre en Espagne, a demandé à l’administration française de lui permettre d’exporter les gamètes de son époux pour permettre la conception de l’enfant en Espagne. La demande a été refusée, en application de l’interdiction française de l’insémination post-mortem et Mme Gomez-Turri a contesté ce refus devant le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Paris qui a refusé d’accéder à sa demande.
La procédure du référé-liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet en effet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale, sous réserve que le requérant justifie d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.
En France, les lois de bioéthique prévoient que l’assistance médicale à la procréation n’est légale que pour remédier à l’infertilité d’un couple ou éviter la transmission d’une maladie particulièrement grave, il en résulte que pour en bénéficier, les deux membres du couple doivent être vivants et en âge de procréer. La séparation des membres du couple ou la mort de l’un d’eux empêche l’autre membre de poursuivre seul le projet de conception. L’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique interdit par ailleurs l’exportation de gamètes conservés en France pour un usage qui méconnaîtrait les principes bioéthiques de la loi française.
À l'inverse, en Espagne, l’insémination post-mortem au profit d’une veuve est autorisée dans les douze mois suivant le décès du conjoint si celui-ci y a préalablement consenti.
Revenant sur sa jurisprudence, le Conseil d'État
Le Conseil d’État juge en effet que, même lorsqu’une loi est compatible avec à la convention EDH, son application peut, dans certains cas particuliers, entraîner des conséquences manifestement disproportionnées et ainsi méconnaître les droits garantis par la convention. Le juge doit donc apprécier concrètement si, en fonction du but poursuivi par la loi, sa mise en œuvre ne porte pas, dans la situation particulière dont il est saisi, une atteinte excessive à de tels droits.
Au cas particulier, Mme Gomez-Turri soutenait que le refus d’exportation des gamètes était contraire à l’article 8 de la convention convention EDH qui garantit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale » et la Haute juridiction administrative a ainsi d'abord jugé que la législation française, prise dans son ensemble, n’était pas contraire à cet article mais exerçant ensuite son contrôle in concreto, le Conseil d’État a relevé que la situation actuelle de l'intéressée résultait de la maladie et de la brutale détérioration de l’état de santé de son mari, qui avait empêché les époux de mener à bien leur projet durablement réfléchi d’avoir un enfant et, notamment, de procéder à un autre dépôt de gamètes en Espagne, pays autorisant l’insémination post-mortem. Mme Gomez-Turri est retournée vivre en Espagne auprès de sa famille, retient le Conseil d'État, sans avoir eu l’intention de contourner la loi française et elle se retrouve dans une situation où l’exportation des gamètes conservés en France constitue la seule façon pour elle d’exercer la faculté que lui ouvre la loi espagnole.
Le Conseil d’État en conclut qu’en l’espèce, le refus d’exportation opposé à l'intéressée, sur le fondement de la loi française, porte, « au vu de l’ensemble des circonstances particulières de l’affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale » et ordonne donc à l’Assistance public-Hôpitaux de Paris, dont dépend l’hôpital Tenon, et à l’Agence de la biomédecine, de qui dépendent les autorisations d’export de gamètes, de prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre l’exportation des gamètes vers l’Espagne.