Logement décent : L'interdiction totale des coupures d'eau entérinée par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a validé l'interdiction totale, issue de la loi du 15 avril 2013 codifiée à l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles, de procéder, dans une résidence principale, à l'interruption de la fourniture d'eau pour non-paiement des factures.

La disposition critiquée par voie de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) interdit en effet, du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l'année suivante, aux fournisseurs d'électricité, de chaleur et de gaz de procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz, et aux termes de la dernière phrase du troisième alinéa de l'article L. 115-3, ces dispositions s'appliquent « aux distributeurs d'eau pour la distribution d'eau tout au long de l'année »

Pour la société Saur qui est à l'origine de cette QPC, les dispositions litigieuses portaient « une atteinte excessive », d'une part, à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre et, d'autre part, aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques. 

Pour ce qui est du premier grief, il était soutenu qu'en interdisant aux distributeurs d'eau d'interrompre la fourniture du service pour défaut de paiement, même en dehors de la période hivernale, sans prévoir de contrepartie et sans que cette interdiction générale et absolue soit justifiée par la situation de précarité des usagers, il était porté une atteinte à la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre.

Mais pour les SagesCons. constit. 29 mai 2015, n° 2015-470 QPC, société Saur., il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général s'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi mais au cas particulier, selon un autre principe constitutionnel affirmé dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, toute personne doit pouvoir disposer d'un logement décent et c'est à ce titre que l'interdiction s'impose pendant toute l'année et quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat car l'accès à l'eau qui répond « à un besoin essentiel de la personne ».

Au demeurant, le Conseil relève que la distribution d'eau potable est un service public industriel et commercial qui relève de la compétence de la commune et que ce service public est exploité en régie directe, affermé ou concédé à des entreprises dans le cadre de délégations de service public. L'usager de ce service public n'a pas le choix de son distributeur et le distributeur d'eau ne peut refuser de contracter avec un usager raccordé au réseau qu'il exploite, les règles de tarification de la distribution d'eau potable sont encadrées, est-il relevé, par la loi et les distributeurs d'eau exercent leur activité sur un marché réglementé sans priver pour autant le fournisseur des moyens de recouvrer les créances correspondant aux factures impayées. Il n'y a donc pas d'atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre qui résulte de l'interdiction d'interrompre la distribution d'eau qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.

Quant au second grief tiré de l'atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques, il était critiqué que l'interdiction d'interrompre la distribution d'eau tout au long de l'année ne s'imposait pas aux fournisseurs d'électricité, de chaleur et de gaz mais pour le Conseil, les distributeurs d'eau ne sont pas placés dans la même situation que celle des fournisseurs d'électricité, de gaz ou de chaleur et les règles applicables à la distribution de l'eau dans les résidences principales sont « en rapport direct avec l'objectif poursuivi par le législateur d'assurer la continuité de la distribution de cette ressource ».

Le Conseil écarte également l'argumentation selon laquelle « en interdisant au distributeur d'eau d'interrompre l'exécution du service, y compris par résiliation du contrat, lorsque l'usager ne s'acquitte pas de ses factures », cela contraint les distributeurs d'eau « à reporter sur l'ensemble des usagers le surcoût résultant du non-paiement des factures par certains d'entre eux ». Les personnes démunies doivent pouvoir bénéficier de l'eau et quant aux mauvais payeurs, il appartient aux distributeurs d'eau d'utiliser toutes les voies de recouvrement de leurs créances que la loi met à leur disposition.