Ploërmel : Seule la croix en surplomb de la statue est contraire à la loi de 1905

Le Conseil d’État a jugé hier contraire à la loi du 9 décembre 1905 l’installation d’une croix en surplomb d’une statue du pape Jean-Paul II érigée sur une place de la commune de Ploërmel (Morbihan).
C’est par une délibération du 28 octobre 2006 que le conseil municipal de Ploërmel avait accepté le don de l’artiste russe Zurab Tsereteli d’une statue représentant le pape Jean-Paul II et destinée à être érigée sur une place publique de la commune.
La Fédération morbihannaise de la libre pensée et deux ploërmelais ont vainement demandé au maire de retirer le monument consacré à Jean-Paul II de tout emplacement public de la commune et à la suite de ces décisions implicites de rejet, les intéressés ont saisi le tribunal administratif de Rennes d’une demande tendant à l’annulation de ces décisions implicites de rejet et à ce qu’il soit enjoint au maire de retirer le monument litigieux.
Par un jugement du 30 avril 2015, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à ce recours et a enjoint au maire de Ploërmel faire procéder, dans un délai de six mois, au retrait du monument de son emplacement mais par un arrêt du 15 décembre 2015, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement et rejeté toutes les demandes. Ils se sont alors pourvus en cassation devant le Conseil d’État.
Le Conseil d’État
La haute juridiction administrative annule d’abord en partie l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 15 décembre 2015 à qui elle reproche de s’être méprise sur la portée de la délibération du 28 octobre 2006 du conseil municipal de Ploërmel au motif que cette délibération avait « exclusivement pour objet l’acceptation du don à la commune de la statue et ne comportait aucun élément relatif à l’arche et à la croix de grande dimension, distinctes de la statue, installées en surplomb de celle-ci » pour en déduire l’existence d’une décision, distincte de la délibération du 28 octobre 2006, autorisant l’installation d’une arche et d’une croix en surplomb de la statue.
Or, pour le Conseil d’État, cette autre décision du maire — à la différence de celle du 28 octobre 2006 — n’a fait l’objet d’aucune mesure de publicité et les délais de recours n’ont donc pas couru à son encontre, ce qui a pour conséquence qu’elle pouvait être abrogée par le maire, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel.
Le Conseil d’État tire les conséquences de cette analyse en prononçant l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en tant qu’il porte sur les demandes des requérants tendant au retrait de la croix et de l’arche surplombant la statue du pape Jean-Paul II. La partie de l’arrêt concernant le refus de retirer la statue, objet de la délibération du 28 octobre 2006 devenue définitive, est en revanche confirmée.
Après cassation, saisi comme juge d’appel de cette partie du litige, le Conseil d’État fait application de la grille d’analyse dégagée par ses décisions Fédération de la libre pensée de Vendée et Commune de Melun du 9 novembre 2016, rendues au sujet de l’installation de crèches de Noël dans des emplacements publics. Il rappelle d’abord la portée de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, aux termes duquel : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». Cet article, qui a pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, fait obstacle à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse, sous réserve des exceptions qu’il ménage.
En l’espèce, après avoir relevé les caractéristiques de la croix et de l’arche qui surplombent la statue du pape Jean-Paul II installée à Ploërmel, l’ensemble atteignant une hauteur de 7,5 mètres hors socle, il estime que l’arche ne saurait, par elle-même, être regardée comme un signe ou emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.
Le Conseil d’État retient, en revanche, une solution opposée s’agissant de la croix surplombant l’œuvre, écartant l’argumentation de la commune qui faisait valoir en défense, pour justifier cette installation, le caractère d’œuvre d’art de l’ensemble, le fait que la croix constituerait l’expression d’une forte tradition catholique locale ou encore la circonstance que la parcelle sur laquelle est implantée le monument litigieux aurait fait l’objet d’un déclassement du domaine public. Il juge en outre que sont sans incidence le fait que la statue ait fait l’objet d’une décision de non-opposition à déclaration de travaux, l’intérêt économique et touristique du monument pour la commune, et le fait que le retrait de tout ou partie de l’œuvre méconnaîtrait les engagements contractuels la liant à l’artiste.
Dès lors que la croix constitue un signe ou un emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et que son installation par la commune n’entre dans aucune des exceptions ménagées par cet article, sa présence dans un emplacement public est contraire à cette loi.
Le Conseil d'État, statuant comme juge d'appel dans la limite de la cassation, confirme l'injonction prononcée par le tribunal administratif dans son jugement du 30 avril 2015 en tant seulement qu'il ordonne de procéder au retrait de la croix.