Préjudice : Responsabilité de l’État du fait de lois jugées inconstitutionnelles

Conseil d'État.

Par une décision historique rendue hier, le Conseil d'État juge qu'il peut être obtenu réparation des préjudices subis du fait de l'application d'une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Il était déjà admis depuis 2007 que l’on puisse engager la responsabilité de l'État pour obtenir réparation des dommages subis du fait de l'application d'une loi contraire aux engagements internationaux de la France et plus particulièrement européens, s’agissant de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentalesCE, Ass., 8 févr. 2007, n° 279522, Alain A. c/ ministère de la santé et des solidarités.. Il n'avait, en revanche, jamais tranché jusqu’à présent la question s'agissant d'une loi contraire à la Constitution. Une loi en vigueur peut en effet être abrogée, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, par le Conseil constitutionnel à la faveur d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et lorsqu'une loi est ainsi « abrogée », elle n'a plus d'effet à partir du « jour de son abrogation » déterminé par le juge constitutionnel.

Dans sa formation la plus solennelle, le Conseil d'État a admis que la responsabilité de l'État peut être engagée en raison d'une loi déclarée contraire à la Constitution, en démontrant avoir subi un dommage — qu’il s’agisse d’une perte financière et d’un quelconque préjudice — qui est directement lié à l'application de cette loi avant son abrogation.

Une responsabilité de l'État possible mais sous réserve de satisfaire à plusieurs conditions

Pour que la demande de réparation puisse aboutir, il est toutefois indispensable que trois conditions cumulatives soient réunies. Primo, la réparation n’est possible que dans les limites fixées par la décision du Conseil constitutionnel, lequel tire de la Constitution le pouvoir de préciser les effets dans le temps de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi et peut donc toujours décider de fermer ou de restreindre la voie à toute demande d'indemnisation. Secundo, le dommage subi doit trouver sa cause directe dans l'application de la loi inconstitutionnelle et, enfin tertio, la demande doit être formulée dans les quatre années suivant la date à laquelle le dommage subi peut être connu dans toute son étendue, sans espérer que la décision du Conseil constitutionnel puisse rouvrir ce délai, il s’agit de l’application de la règle de prescription quadriennale qui peut être opposée au demandeur par l'administration.

En l’espèce, dans les trois cas qui lui étaient soumis et qui concernaient, tous trois, des dispositions législatives relatives à la participation des salariés aux résultats de l'entrepriseCE, Ass., 24 déc. 2019, n° 425981, société Paris Clichy, ex-société Hôtel Frantour Paris-Berthier ; n° 425983, société Hôtelière Paris Eiffel Suffren ; n° 428162, M. A. déclarées contraires à la ConstitutionCons. constit., 1er août 2013, n° 2013-336 QPC, Société Natixis Asset Management, ex-CDC Gestion., le Conseil d'État a estimé qu'il n'existait pas de lien direct de causalité entre l'inconstitutionnalité de ces dispositions et le préjudice invoqué par les demandeurs, en l'occurrence deux entreprises condamnées à verser à leurs salaires et anciens salariés leur participation aux résultats pour les exercices 1986 à 1995 et un salarié qui, lui, réclamait à CDC Gestion devenue Natixis Asset Management une certaine somme à titre de prime de participation pour les années 1992 à 2001.