Vincent Lambert : Le juge judiciaire n’est pas compétent en l'absence de voie de fait

L’assemblée plénière de la Cour de cassation a cassé sans renvoi vendredi l’arrêt de cour d’appel de Paris qui avait ordonné le maintien des soins vitaux prodigués à Vincent Lambert au motif qu’il n’y a pas de « voie de fait » et que la juridiction judiciaire est dès lors incompétente.
Il n’y a en effet « voie de fait » que lorsque l’État prend une décision qui porte atteinte à la liberté individuelle et que cette décision n’est pas manifestement rattachée à un pouvoir qui lui appartient et si les litiges qui opposent les justiciables à l’État sont tranchés par le juge administratif, c’est, par exception, que le juge judiciaire est alors compétent en matière de « voie de fait », en application de l’article 66 de la Constitution de 1958 qui fait du juge judiciaire « le gardien de la liberté individuelle ».
Au cas particulier, Vincent Lambert a été victime il y a dix ans, le 29 septembre 2008, d’un grave accident de la circulation, rappelle la Cour de cassation dans sa formation la plus solennelle, et au terme d’une longue procédure, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims et le docteur en charge du patient ont pris, le 9 avril 2018, la décision d’arrêter les soins. Décision jugée légale le 24 avril 2019 par le Conseil d’État et le 30 avril 2019, la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait déjà procédé à un examen au fond cette affaire il y a quatre ans
En ultime recours supranational, les consorts Lambert ont saisi, 3 mai 2019, le comité des droits des personnes handicapées (CDPH) de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) lequel a donné six mois à la France pour présenter ses observations sur le dossier et lui a demandé de veiller à ce que les soins soient poursuivis jusqu’à ce qu’il ait pu examiner le fond de l’affaire, ce que la France refuse au motif qu’elle « n’est pas en mesure de réclamer le maintien des soins » et c’est dans ces circonstances que le tribunal de grande instance de Paris est saisi, le 17 mai 2019, par les consorts Lambert Le tribunal pour qu’il ordonne à l’État « de prendre les mesures demandées par le comité de l’ONU ». Le tribunal ne retient pas la « voie de fait » et se déclare incompétent mais, coup de théâtre, trois jours plus tard, le 20 mai 2019, la cour d’appel considère que l’État est l’auteur, en l’espèce, d’une « voie de fait », elle se déclare compétente et fait droit à la requête en ordonnant à l’État français de prendre toutes les mesures provisoires demandées par le comité de l’ONU, c’est-à-dire un maintien des soins apportés à Vincent Lambert.
Ce sont les pourvois formés, le 31 mai 2019, par l’État, le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, d’une part, et le CHU et le médecin, d’autre part, qui sont l’occasion pour la plus haute formation de la Cour de cassation de dire le droit en matière de « voie de fait » et, en l’espèce, est-ce que l’État français est l’auteur d’une « voie de fait » — en d’autres termes, porte-t-il une atteinte à la liberté individuelle qui n’est manifestement pas rattachée à un pouvoir lui appartenant — en refusant d’ordonner le maintien des soins vitaux prodigués à Vincent Lambert temps nécessaire au comité des droits des personnes handicapées de l’ONU d’examiner le dossier ?
L’article 66 de la Constitution de 1958 fait certes du juge judiciaire le gardien de la « liberté individuelle » mais selon le Conseil constitutionnel, seules les privations de libertés, telles que, la garde à vue, la détention ou l’hospitalisation sans consentement, peuvent être qualifiées d’atteintes à la « liberté individuelle », le droit à la vie n’entre pas dans le champ de l’article 66 et c’est ainsi que pour les hauts magistrats
La justice administrative ayant validé la décision du CHU d’arrêter les soins et la Cour européenne des droits de l’homme ayant conforté la France dans son analyse, l’Instance judiciaire suprême juge qu’en refusant d’ordonner le maintien des soins demandé par le comité de l’ONU, l’État n’a pas pris « une décision qui dépasse manifestement les pouvoirs lui appartenant » et aucun des éléments constitutifs de la voie de fait n’est réuni, le juge judiciaire n’est pas compétent pour connaître de cette affaire et l’arrêt est donc cassé sans renvoi. Il n’a dès lors pas été nécessaire que la Cour de cassation se prononce sur le caractère « contraignant » ou non d’une demande de mesure provisoire émanant du le comité des droits des personnes handicapées de l’ONU.
Quid du juge administratif jusqu'à ce que le comité de l'ONU rende sa décision ?