Collaboration libérale avocats : Les dispositions ordinales ne sont que supplétives

En matière de contrat de collaboration libérale, les dispositions du règlement intérieur de la profession d’avocat ne sont que supplétives, a tranché la première chambre civile de la cour de cassation, à l'occasion d'un litige opposant un collaborateur à son confrère-patron quant à l'applicabilité aux contrats en cours d'une disposition nouvelle.

Exerçant à Paris sous son titre d’origine allemand « Rechtsanwalt », en qualité de collaborateur libéral de la société d’avocats Rödl & Partner devenue BRS & Partners, à compter du mois de novembre 2002, selon un contrat formalisé au mois de juin 2003, Me Dirk F. avait notifié le 14 janvier 2009 sa décision de mettre un terme à son contrat de collaboration après avoir troqué deux mois auparavant, le 6 novembre 2008, son titre d’origine contre celui d’ « avocat à la cour » en s’inscrivant au barreau de Paris.

Me Dirk a quitté son employeur, le 14 mars 2009, en respectant le délai de prévenance de 2 mois prévu au contrat mais une différence d'appréciation est vite apparue tant au niveau de ce délai de prévenance que de la reddition des comptes entre les parties. L’application de l’article 14-4 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat, dans sa rédaction issue de la décision n° 2007-001 du 28 avril 2007 du conseil national des barreaux (CNB), aboutissait en effet, « sauf meilleur accord des parties », à un délai de prévenance de 5 mois et il était par ailleurs reproché à Me Dirk d’avoir voulu « détourner la clientèle, certains clients de BRS l’ayant suivi lorsqu’il a créé son propre cabinet ainsi que d’avoir désorganisé largement le cabinet [BRS] ».

Les normes édictées par le conseil national des barreaux ne peuvent avoir d’effet rétroactif...
Cour d'appel de Paris, 14 juin 2011.

Pour infirmer la sentence arbitrale du 20 novembre 2009 qui avait condamné Me Dirk à payer à son confrère-ancien employeur la somme de 43 498 euros à titre de dommages-intérêts pour « non respect du délai de prévenance de 5 mois qu’il devait compte tenu de son ancienneté lors de la rupture », la cour d’appel Paris, ch. 2-1, 14 juin 2011, n° 10-00978, Dirk Fangmann c/ société BRS & Partners. critique l’arbitre de ne pas avoir abordé explicitement la difficulté principale du dossier portant sur l’application de dispositions entrées en vigueur postérieurement à la signature du contrat qui « ne peuvent avoir d’effet rétroactif sur celui-ci […], refus[ant] une application des conventions signées librement entre les parties en invoquant des textes ultérieurs […] sans justifier du fondement d’une telle rétroactivité » et qui avait ainsi alloué la somme de 21 000 euros « pour le préavis complémentaire de 3 mois qu[e le collaborateur] restait devoir ». Le délai de préavis allongé à 5 mois n’existait pas en 2002, constate la cour, « ce qui exclut […] d’envisager que les parties aient pu avoir à un moment quelconque la volonté de s’y référer ».

Quant au reliquat de 22 498 euros alloué à l’employeur à titre de dommages-intérêts pour le « démarchage et [le] détournement [par l’ancien collaborateur] d’une partie de la clientèle avant […] et au moment de son départ », la sentence est également infirmée sur ce point car, certes, il y a eu « indélicatesse » et Me Dirk n’a pas fait montre d’une « courtoisie exemplaire » mais les éléments invoqués par l’employeur à l’appui de sa demande ne sont pas de nature « à étayer sérieusement les graves accusations […] portées […] qui apparaissent dès lors particulièrement disproportionnées s’il ne s’agit que de déplorer une attitude manquant de souplesse et de convivialité ».

... et ne sont que supplétives
Cour de cassation, 31 octobre 2012.

Sur le pourvoi formé par la société BRS, la cour suprême va bien plus loin que la cour de Paris qui s’était bornée à retenir que la norme ordinale nouvelle était certes d’application immédiate mais n’avait pas vocation à s’appliquer aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur. C’est ainsi que pour la première chambre civile de la cour de cassation Civ. 1re, 31 oct. 2012, n° 11-25677, société BRS & Partners c/ Dirk Fangmann.« à défaut d’accord contraire des parties », le délai de prévenance prévu à l’article 14-4 du RIN n’a qu’ « une valeur supplétive » et d’approuver des deux mains les juges du second degré qui avaient fait application « du délai de prévenance convenu entre les parties ».

La société BRS dit prendre acte de cet arrêt dont « les incidences pratiques peuvent être considérables », se réjouissant toutefois que si les dispositions de l’article 14-4 du RIN ont un caractère supplétif, il sera dorénavant « possible de stipuler, dans les contrats de collaboration, des délais de prévenance qui dérogent à ceux fixés par l’article 14-4 ». La solution dégagée par la cour de cassation, estime Me Michael Brosemer, avocat associé du cabinet BRS & Partners, risque de se retourner à terme « contre les collaborateurs puisqu’il est maintenant loisible aux parties de déroger à l’article 14-4 du RIN et donc de stipuler des durées de prévenance plus courtes notamment au début d’une collaboration, par exemple, 1 mois voire une durée plus courte ».

Dans ses commentaires sur ces nouvelles dispositions du RIN, le CNB avait pourtant interprété, rappelle Me Brosemer, le membre de phrase « sauf meilleur accord des parties », utilisé à l’article 14-4, comme signifiant que les parties pouvaient y déroger « au moment de la rupture » du contrat alors que la cour de cassation dit pour droit qu’il peut y être dérogé « au moment de la conclusion du contrat ». Un changement de perspective qui fera des heureux et des malheureux.