Devoir conjugal : Le droit français impose-t-il des relations sexuelles ?

Plusieurs médias se sont fait l'écho ces derniers jours d'une affaire plutôt insolite. Les sites des quotidiens 20 Minutes et Le Parisien/Aujourd'hui en France notamment relatent l'histoire d'un niçois de 51 ans dont le divorce aurait été prononcé « exclusivement à ses torts » par le tribunal d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), assorti de 10 000 euros de dommages et intérêts à payer. Motif ? Des relations intimes trop peu fréquentes avec son épouse.
Sans se concentrer sur cette affaire proprement dite, LexTimes.fr a voulu en savoir plus sur la question. Peut t-on vraiment en France, voir son mariage dissous ou annulé pour défaut de relations sexuelles ? Voire se faire condamner à des dommages et intérêts pour cela ?
Maître Xavier de La Chaise, avocat spécialisé en droit de la famille, nous a répondu.
Une jurisprudence classique... mais très rare
Selon lui, la décision n'a dans son fondement, rien de surprenant. Elle se fonde sur les articles 212 et 215 du code civil.
L'article 212 dispose que « les époux se doivent mutuellement [...] fidélité ». Pour Me de La Chaise, cette disposition remonte au droit canon, qui considérait la fidélité de manière dite « négative » (l'interdiction de tromper son conjoint, d'avoir des relations hors mariage) mais aussi « positive » (avoir entre époux une intimité). Cette double interprétation historique serait toujours d'actualité. Et aux termes de l'article 215 « les époux s'engagent mutuellement à une communauté de vie ». Me de La Chaise affirme que là aussi la doctrine fait découler de cette disposition le fait d'avoir des « relations charnelles » (il cite le fascicule 2010 de Virginie Larribau-Terneyre dans le JurisClasseur Civil).
Les juges apprécient bien sûr ensuite au cas par cas, tenant compte du consentement éventuel des époux, ou encore des problèmes de santé que peut avoir l'un d'eux, par exemple. Mais le droit français serait donc assez clair et constant sur la question, il ne s'agirait pas d'un revirement, ni d'une nouveauté.
La difficulté en la matière serait tout simplement... d'établir clairement l'absence de relations sexuelles
« Nous avons très souvent dans nos cabinets des époux ou épouses qui évoquent cet état de fait », affirme Me de La Chaise, « mais la plupart du temps, on n'a pas d'éléments de preuve. Ce qui fait la spécificité du dossier en question est qu'apparemment le mari a reconnu les faits, et a tenté de les justifier. Il a, semble t-il, évoqué son état de santé, une fatigue liée au travail... Tout cela n'a pas convaincu les juges, et il n'est donc resté que l'aveu judiciaire ». Et de conclure : « C'est cet aveu judiciaire qui est surprenant ! Le mari aurait nié les faits, cela aurait été plus simple pour lui ! ».
Pour ce motif, parce qu'il est particulièrement difficile de démontrer, même scientifiquement, une absence d'amour physique entre deux personnes, le nombre de précédents est rare. Me de La Chaise confie avoir fait des recherches sur le sujet, et n'avoir trouvé qu'une décision de la cour d'appel datant de 1998. « C'est l'épouse qui était mise en cause, explique-t-il, mais elle ne refusait pas que les relations, elle était également opposée aux sorties, à ce genre de choses ».
Une décision malgré tout surprenante
Si juridiquement, la décision se fonde donc tout à fait, selon le spécialiste que nous avons interrogé, il se dit malgré tout étonné d'une chose... le montant des dommages et intérêts.
« 10 000 euros, ça paraît beaucoup ! On a du mal à les avoir dans des cas assez extrêmes donc c'est, à première vue, curieux » affirme t-il.
Et de citer un cas qu'il a eu à traiter, celui d'une épouse qui attendait des jumeaux, alors que pendant ce temps le mari avait eu une relation hors mariage avec une autre femme, avec qui il avait eu un enfant. Montant des dommages et intérêts en l'espèce ? « Zéro euro », nous dit l'avocat. Il évoque également un autre cas d' « adultère vraiment injurieux », qui s'est soldé par 1 500 euros de dommages et intérêts. Presque 7 fois moins que le cas présent...
Il pourra en conclusion paraître étonnant que le champ du droit français investisse des terrains aussi intimes que la fréquence des rapports sexuels au sein d'un couple. Et pourtant... « dans un divorce, la justice se mêle toujours de choses intimes, par définition », rappelle Me de La Chaise. « Mon mari ou ma femme ne participe pas à la vie de la famille, il ou elle m'a trompé avec un ou une secrétaire, il ou elle picole, il ou elle n'est pas aimable le soir... c'est cela une séparation ! ».