Discriminations : La perte de plein droit de la nationalité française par les femmes jugée inconstitutionnelle

Le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnel le fait que les femmes perdaient de plein droit la nationalité française lors de l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère alors que les hommes ne la perdaient qu'avec l'autorisation du gouvernement. Les descendants de ces femmes ayant injustement perdu la nationalité française peuvent revendiquer la nationalité française que leur mère ou grand-mère n'a, en définitive, pas perdue.
C'est l'article 87 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945, qui disposait que « perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère » mais selon l'article 9 de cette même ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954, « jusqu'à une date qui sera fixée par décret, l'acquisition d'une nationalité étrangère par un Français du sexe masculin ne lui fait perdre la nationalité française qu'avec l'autorisation du gouvernement français./ Cette autorisation est de droit lorsque le demandeur a acquis une nationalité étrangère après l'âge de cinquante ans [...] ».
Il était donc soutenu qu'en prévoyant que la perte de la nationalité française résultant de l'acquisition volontaire de la nationalité étrangère s'opérait de plein droit pour les femmes alors que, pour les hommes, elle était subordonnée à une demande de leur part aux fins d'abandon de la nationalité française, ces dispositions portaient atteinte au principe d'égalité entre les femmes et les hommes.
Rappelant que selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « la loi [...] doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et que le troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », le Conseil constitutionnel
C'est pour empêcher que l'acquisition d'une nationalité étrangère ne constitue un moyen d'échapper à la conscription que la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité avait prévu que la perte de la nationalité française résultant de l'acquisition volontaire d'une autre nationalité serait subordonnée à une autorisation du gouvernement durant la période pendant laquelle un Français est « encore soumis aux obligations du service militaire pour l'armée active ». La définition de cette période a été modifiée à plusieurs reprises entre cette loi et la loi du 9 avril 1954 qui prévoyait que pour les hommes « la perte de la nationalité française résultant de l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère est subordonnée à une autorisation du gouvernement et [...] cette autorisation ne peut être refusée en cas d'acquisition d'une nationalité étrangère après l'âge de cinquante ans ». Le législateur avait ainsi entendu non seulement maintenir la règle empêchant les Français du sexe masculin d'échapper aux obligations du service militaire en acquérant une nationalité étrangère mais également permettre à tous les Français du sexe masculin ayant acquis une nationalité étrangère pour exercer une activité économique, sociale ou culturelle à l'étranger de conserver la nationalité française.
Les Sages de la rue de Montpensier ne trouvent rien à redire que dans le but de faire obstacle à l'utilisation des règles relatives à la nationalité pour échapper aux obligations du service militaire, le législateur ait pu prévoir que le gouvernement peut s'opposer à la perte de la nationalité française en cas d'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère pour les seuls Français du sexe masculin soumis aux obligations du service militaire mais là où le bât blesse c'est de réserver aux Français du sexe masculin, quelle que soit leur situation au regard des obligations militaires, le droit de choisir de conserver la nationalité française lors de l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère car cela institue « entre les femmes et les hommes une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi et qui ne peut être regardée comme justifiée ».
La disposition litigieuse a été abrogée par la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 qui a donné sa rédaction actuelle à l'article 87 du code de la nationalité selon lequel la perte de la nationalité française est subordonnée à une déclaration émanant de la personne qui acquiert une nationalité étrangère. La remise en cause des situations juridiques résultant de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait, estime le Conseil, « des conséquences excessives si cette inconstitutionnalité pouvait être invoquée par tous les descendants des personnes qui ont perdu la nationalité en application de ces dispositions », l'inconstitutionnalité prend donc effet à compter de la publication de cette décision et peut être invoquée par les seules femmes qui ont perdu la nationalité française par l'application des dispositions de l'article 87 du code de la nationalité, entre le 1er juin 1951 et l'entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1973. Les descendants de ces femmes peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissant, compte tenu de cette inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française.