Données personnelles : Primauté de la liberté d'information sur le droit à l'oubli

Cour de cassation.
Cour de cassation.

Imposer à un organe de presse de supprimer une information d'un site internet dédié à l'archivage de ses articles ou d'en restreindre l'accès en modifiant le référencement naturel excède, a jugé la cour de cassation, les restrictions qui peuvent être apportées à la liberté de la presse.

Le site lesechos.fr a mis en ligne un article intitulé « le Conseil d'État a réduit la sanction des frères Dokhan à un blâme » qui avait été publié le 8 novembre 2006 dans la version papier du journal et faute d'avoir obtenu la suppression de leurs données personnelles, les intéressés ont saisi, le 27 octobre 2010, la juridiction compétente sur le fondement des articles 38 de la loi du 6 janvier 1978 et 1382 du code civil au motif que « l'utilisation de leur patronyme comme mot clé sur les moteurs de recherche donna[it] accès en premier rang à [l'article] ».

Pour débouter les deux frères de leurs demandes, les premiers jugesTGI Paris, 17e ch., 27 oct. 2010, n° 11/05965, Stéphane et Pascal Dokhan c/ société les Échos. ont relevé que « ni le titre de l'article litigieux qui apparaît en première page du moteur de recherche Google lorsque leur patronyme est utilisé comme mot clé ni l'articleDans un arrêt du 13 juillet 2006, le Conseil d'État a substitué un blâme à la décision de retrait pour dix ans des cartes professionnelles de Pascal et Stéphane DOKHAN prononcée en avril 2003 par le Conseil des marchés financiers (CMF, ex-AMF) dans le dossier Mercury Capital Markets. La sanction de 60 000 euros a été maintenue. La juridiction d'appel a estimé que seule une partie des manquements qui avaient justifié les poursuites devant le CMF devait être maintenue. L'AMF est condamnée à verser 2 000 euros à Pascal et Stéphane DOKHAN au titre des dépens. lui-même librement accessible sur site des Échos ne sont tendancieux, équivoques ou fautifs ». Le titre, poursuit le tribunal, indique que la sanction prononcée à leur égard a été réduite à un blâme par le Conseil d'État, l'article lui-même apportant plus de précisions et notamment que « la juridiction d'appel a estimé que seule une partie des manquements qui avaient justifié les poursuites devant le CMF devait être retenue ».

L'anonymisation des décisions de justice n'est prévue par aucun texte
Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre, 27 oct. 2010, n° 11/05965, Stéphane et Pascal Dokhan c/ société les Échos.

Pour le tribunal, l'article ne contient ni inexactitude ni présentation déloyale ou partisane et « aucun événement postérieur, autre que le passage du temps, ne vient, non plus, affecter la pertinence de ces textes ». Quant à un déréférencement sur Google ou sur le site lesechos.fr, cela porterait, selon le tribunal, « atteinte à la liberté d'expression ainsi qu'à une de ses composantes, celle de recevoir des informations » et pour ce qui est de la demande d'anonymisation de la décision rendue par le tribunal, elle n'est prévue par aucun texte.

Décision confirmée par la cour d'appelParis, ch. 2-7, 26 févr. 2014, n° 12/14813, Stéphane et Pascal Dokhan c/ société les Échos. et y ajoutant que « les difficultés rencontrées pour retrouver un emploi dans le milieu de la finance ne peuv[e]nt être imputé[es] à l'article même, mais à la lecture qu'en font les professionnels » pour conclure qu'imposer « à un organe de presse, de supprimer de son site internet dédié à l'archivage de ses articles, lequel ne peut s'assimiler à l'édition d'une base de données de décisions de justice, soit l'information elle-même, le retrait des noms et prénoms des personnes visées par la décision vidant l'article de tout intérêt, soit d'en restreindre l'accès en modifiant le référencement habituel, excèdent [...] les restrictions qui peuvent être apportées à la liberté de la presse ».

Attendu que reprend intégralement la première chambre civile de la cour de cassationCiv. 1re, 12 mai 2016, n° 15-17729, Stéphane et Pascal Dokhan c/ société les Échos. pour rejeter le pourvoi des frères Dokhan et les condamner aux dépens.