Experts-comptables : Une rémunération en fonction du travail fourni et non de l’éventuel résultat obtenu

Les experts-comptables rémunérés en fonction du travail fourni.
Les experts-comptables rémunérés en fonction du travail fourni.

La Cour de cassation a annulé mercredi un arrêt confirmatif de la cour d’appel de Paris qui avait condamné une société à payer à un expert-comptable « la rémunération mentionnée dans [un] SMS […] du 6 novembre 2015, à savoir 4 % du prix de vente des actions Aciernet payé à la société Athmo par la société Aciernet Capital, soit 192 000 euros, outre 4 % du complément de prix susceptible d’être perçu […] ».

En l’espèce, une société de droit luxembourgeois Athmo, créée tout spécialement à cet effet, avait cédé à Aciernet Capital, le 27 mai 2016, pour 4,8 millions d’euros, les 49 % du capital qu’elle détenait dans Aciernet, valorisés 8,82 millions d’euros lors de sa constitution le 7 novembre 2013 par devant Me Joëlle Baden, notaire à Luxembourg, et qui lui avaient été apportés par son dirigeant, Thierry Mourrain.

Soutenant l’avoir assistée lors de cette cession en 2016, son expert-comptable — à l’origine de l’optimisation des actions d’Aciernet placées dans la coquille luxembourgeoise — l’avait assignée « en reconnaissance d’un contrat de louage d’ouvrage et paiement de la rémunération prévue dans un SMS de M. Mourrain du 6 novembre 2015 » et était parvenu à obtenir gain de cause devant les juges de fond qui avaient retenu la validité du contrat verbal malgré l’argumentation développée par la société Athmo qui soutenait que la validité de la relation de l’expert-comptable avec son client nécessite un écrit, d’une part, et, d’autre part, l’interdiction formelle de l’honoraire de résultat au moment des faits qui n’a été levée, partiellement, que par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019.

Pour confirmer la décision des premiers jugesTGI Évry, 7 déc. 2018, n° 16/09521., la cour de ParisParis, ch. 5-8, 24 nov. 2020, n° 19/04596. s’était notamment appuyée sur le SMS du 6 novembre 2015 à 14h20 qui était en effet fort explicite et ne laissait place à aucun doute quant à l’intention de M. Mourrain de gratifier son expert-comptable au-delà de ses propres espérances :

« Bjr B, J’espère que ça va. On s’approche de la conclusion, on dirait. Du coup, si ça se passe bien avec FV (EX) ça nous évitera d’aller batailler pour monter un dossier et aller chercher un tiers acquéreur, et je t’avoue que c’est pas plus mal car je le sentais moyen. Dans ce cadre, je souhaite te proposer une rémunération de 4 % du montant de la vente de mes actions Aciernet à FV + 4 % sur ce qui peut tomber en earn out et 4 % sur le complément de prix s’il vend pendant la période. Ça te va ? Souhaites-tu officialiser avec un document écrit entre nous ? Dans l’attente de te lire. »

« Tu es royal. Merci bien. », lui avait aussitôt répondu moins de cinq minutes plus tard l’expert-comptable qui n’en attendait vraisemblablement pas autant mais sa jubilation ne sera toutefois que de très courte durée.

Dans une décision fort brève, au visa de l’article 24 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable, la première chambre civile de la Cour de cassationCiv. 1re, 6 avr. 2022, n° 21-12045, société Athmo. censure en effet fort platement la juridiction du second degré en rappelant sobrement que « les honoraires de l’expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu et ne peuvent en aucun cas être calculés d’après les résultats financiers obtenus par les clients » pour en conclure que le contrat conclu entre un expert-comptable et son client, en ce qu’il fixe les honoraires dus en fonction de tels résultats, est « illicite et, partant, nul, de sorte que le montant des honoraires dus à l’expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu ».

Pour accueillir la demande, souligne la Cour, après avoir admis l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage et constaté qu’il prévoyait des honoraires de résultat, le juge d’appel a retenu que les règles de déontologie « ne sont assorties que de sanctions disciplinaires et n’entraînent pas, à elles seules, la nullité des contrats conclus en infraction à leurs dispositions », ce qui constitue, pour la juridiction suprême, une violation de l’article 24 précité.

Il faut rappeler que même lorsqu’il est admis, l’honoraire de résultat ne peut constituer la seule rémunération. Il en va ainsi, en France, notamment, en ce qui concerne les avocats pour qui le pacte de quota litis est formellement interdit, contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique où il est monnaie courante. L’expert-comptable en question n’a toutefois pas tout perdu puisque l’affaire est renvoyée devant la cour de Paris autrement composée pour que sa rémunération au titre des diligences accomplies dans le cadre de la cession litigieuse soit déterminée en fonction du travail réellement fourni.