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GPA : Transcription des actes de naissance établis à l’étranger

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Cour de cassation Cour de cassation

« Une gestation pour autrui (GPA) ne fait pas, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention », a jugé l’assemblée plénière de la Cour de cassation, après un arrêt de 2014 et un avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme, dans le dossier des jumelles Mennesson nées d’une mère porteuse il y a plus de 19 ans à La Mesa, en Californie, car, souligne la Cour, « dans le cas d’espèce, seule la transcription des actes de naissance étrangers permet de reconnaître ce lien dans le respect du droit à la vie privée des enfants ».

Selon leurs actes de naissance américains dressés conformément à un jugement de la Cour supérieure de l’État de Californie du 14 juillet 2000, les deux jumelles sont nées des époux Mennesson, tous deux de nationalité française, et le 25 novembre 2002, le ministère public a fait transcrire ces actes de naissance par le consulat général de France à Los Angeles mais par acte du 16 mai 2003, le parquet de Créteil a assigné les époux Mennesson en annulation de cette transcription.

Quinze ans de procédure

Un premier jugement du 13 décembre 2005, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007, a déclaré irrecevable le procureur de la République en son action mais il sera cassé1 et dans un second arrêt du 18 mars 2010, sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris annule la transcription des actes de naissance désignant les époux Mennesson comme étant les père et mère des enfants et le pourvoi à l’encontre de cet arrêt a été rejeté2 .

Saisie sur le fondement de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au respect de la vie privée, la Cour européenne des droits de l’homme3 a retenu qu’il y a eu violation de l’article 8 et a condamné l’État français à verser une somme au titre du préjudice moral subi ainsi que les frais et dépens, et c’est ainsi que, sur le fondement des articles L. 452-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire, il a été demandé le réexamen du pourvoi. Par une décision du 16 février 2018, la Cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à cette demande et par un arrêt avant dire droit du 5 octobre 2018, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a transmis à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif sur deux points :

En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, en ce qu’il désigne comme étant sa "mère légale" la "mère d’intention", alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le "père d’intention", père biologique de l’enfant, un État-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la "mère d’intention" ?

Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ?

Une impossibilité générale et absolue n’est pas conciliable avec l’intérêt de l’enfant

Dans son avis consultatif rendu le 10 avril 2019, la Cour européenne des droits de l’homme considère que « l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise » (§ 42), ce qui implique « une appréciation par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des circonstances de la cause » (§ 54), ce qui fait dire à la Cour que dans l’hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, d’une part, « le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la “mère légale” » et, d’autre, « ce droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

La Cour de cassation4 en a donc déduit qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui — qui est prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil — ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle « à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’État étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger », laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé.

Or, pour annuler la transcription sur les registres du service d’état civil de Nantes des actes de naissance établis à l’étranger et désignant les époux Mennesson comme étant les père et mère des enfants Fiorella et Valentina Mennesson, l’arrêt avait retenu, relève l’assemblée plénière, que ces actes ont été établis sur le fondement de l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’État de Californie qui a déclaré M. Mennesson père génétique et Mme Mennesson « mère légale de tout enfant qui naîtrait de [la mère porteuse] entre le 15 août 2000 et le 15 décembre 2000 », à la suite d’une convention de gestation pour autrui qui donné naissance à deux enfants qui sont issus des gamètes de M. Mennesson et d’une tierce personne, enfants qui ont été remis à M. et Mme Mennesson au motif que toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle en vertu de l’article 16-7 du code civil.

Réglant l’affaire au fond au visa des articles 55 de la Constitution, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant et de l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019, l’assemblée plénière casse sans renvoi et dit pour droit que l’acte de naissance doit être transcrit en ce qui concerne la filiation paternelle biologique car il ressort des éléments du dossier que l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’État de Californie a déclaré M. Mennesson « père génétique des deux enfants, qui sont issues des gamètes de ce dernier et d’une tierce personne ».

Pour ce qui est de la transcription de l’acte de naissance à l’égard de Mme Mennesson, mère d’intention des deux enfants, la juridiction nationale fait sien l’avis émis par la juridiction européenne, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention « n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant », qui « exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise, ces conditions devant inclure une appréciation in concreto par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant » (§ 52 et 54) et rappelle qu’en droit français, en application de l’article 310-1 du code civil, la filiation est légalement établie par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire, ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété, ou par un jugement, ou adoption plénière ou simple.

Il a ainsi été jugé5 que l’adoption permet, si les conditions légales sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de « créer un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, épouse du père biologique » et l’avis consultatif, l’adoption répond aux exigences de l’article 8 de la Convention dès lors que ses modalités permettent « une décision rapide », de manière à éviter que l’enfant soit maintenu longtemps dans l’incertitude juridique quant à ce lien, le juge devant tenir compte de la situation fragilisée des enfants tant que la procédure est pendante.

Rappelant qu’en droit français, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles, la Cour de cassation dit retenir, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il convient de privilégier tout mode d’établissement de la filiation permettant au juge « de contrôler notamment la validité de l’acte ou du jugement d’état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant » et au cas particulier, le prononcé d’une adoption suppose l’introduction d’une nouvelle instance à l’initiative de Mme Mennesson.

Écartant cette hypothèse compte tenu du « temps écoulé depuis la concrétisation du lien entre les enfants et la mère d’intention » et celle d’une filiation par possession d’état, la Cour de cassation opte, s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, pour la transcription sur les registres de l’état civil des actes de naissance établis à l’étranger.

 

  • 1Civ. 1re, 17 déc. 2008, n° 07-20.468.
  • 2Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 10-19.053.
  • 3CEDH, 26 juin 2014.
  • 4Ass. pl., 4 oct. 2019, n° 10-19053, Mennesson c/ parquet général de Paris, rapport de la conseillère Agnès Martinel, avis du procureur général François Molins.
  • 5Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 15-28.597, 16-16.901, n° 16-50.025 et n° 16-16.455.

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