Après avoir ouvert une brèche dans un arrêt rendu l’été dernier Civ. 1ère , 8 juill. 2010, n° 08-21740., la Cour de cassation semble peu disposée à reconnaitre l’homoparentalité. La première chambre civile a refusé l’adoption simple d’un enfant par la concubine de sa mère, mercredi 9 marsCiv. 1ère, 9 mars 2011, n° 10-10385..
Les deux compagnes vivent maritalement depuis une dizaine d’années. Chacune d’entre elles est mère, après une insémination artificielle réalisée avec le même donneur. Pour obtenir une régularisation de leur situation sur le plan légal, ces femmes ont respectivement formé une demande d'adoption simple de l'enfant de leur concubine.
La procédure entraîne un transfert de l’autorité parentale (définie comme "un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant" Art. 371-1 c. civ. à l’adoptant. Le code civil admet une seule exception au principe, introduite par la loi du 4 mars 2002. L’article 365Art. 365 c. civ.: « L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité ». précise ainsi qu’en cas d’adoption de l’enfant du conjoint, l’autorité parentale est partagée entre le père et la mère.
La Cour de cassation s’est fondée sur ces deux dispositions pour rejeter le pourvoi, confirmant la décision de la Cour d’appel de Paris du 1er octobre 2009. L’arrêt rappelle d’abord que « la mère de l’enfant perdrait son autorité parentale en cas d’adoption de son enfant alors qu’elle présente toute aptitude à exercer cette autorité et ne manifeste aucun rejet à son égard ». Il exclut ensuite tout partage de l’autorité parentale en dehors du mariage.
Une jurisprudence «classique»
La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français confirme ainsi sa position sur cette question. Le 20 février 2007, la cour mettait un terme aux divergences entre les juges du fond dans deux arrêtsCiv, 1ère, 20 févr. 2007, n° 04-15676 et n° 06-15647.. Par ces décisions, elle pose le principe selon lequel la mère naturelle perd son autorité parentale après une adoption simple sauf en cas de mariage avec l’adoptant (une situation impossible pour les couples de même sexe).
Cette décision marque un réel recul dans la reconnaissance de l’homoparentalité par cette juridiction. Un an plus tôt, elle avait pourtant admis une délégation partielleCiv, 1ère, 24 févr. 2006, n° 04-17090. de cette prérogative pour une mère de deux fillettes à sa compagne, avec laquelle elle était pacsée. Les juges s’étaient prononcés au nom de « l’intérêt de l’enfant » en statuant in concreto rappelant que les petites« étaient décrites comme des enfants épanouies, équilibrées et heureuses, bénéficiant de l’amour, du respect, de l’autorité et de la sérénité nécessaires à leur développement ». L’arrêt soulève également l’hypothèse d’un accident de la mère, affirmant que dans ces conditions priver sa compagne de tout rôle juridique pourrait être préjudiciable aux enfants.
Mais cet arrêt fait figure d’exception. L’été dernier, la Cour de cassation a rendu le même jour deux décisions a priori contradictoires sur cette question. Dans le premier casCiv. 1ère, 8 juill. 2010, n° 09-12623., les juges ont pratiqué une lecture stricte de la jurisprudence de 2007. Les magistrats ont refusé aux deux femmes concernées de partager l’autorité parentale, alors qu’elles avaient conclu un pacs (pacte civil de solidarite). D’après eux, les requérantes « ne démontraient pas en quoi l'intérêt supérieur des enfants exigeait que l'exercice de l'autorité parentale soit partagé entre elles et permettrait aux enfants d'avoir de meilleures conditions de vie ». Une rupture totale avec la décision de 2004.
À l’inverse dans la seconde affaireCiv. 1ère, 8 juill. 2010, n° 08-21740., la cour a accepté le partage de l’autorité parentale. Les juges ont validé un jugement américain reconnaissant la compagne française d’une mère américaine comme adoptante. Cet arrêt de cassation sans renvoi ordonne l’exequatur de la décision de justice américaine. Dès lors, il introduit en France un nouveau type de filiation : un enfant peut avoir deux parents de même sexe.
Cette décision en demi-teinte, largement saluée par les partisans de l’adoption pour les couples homosexuels, a néanmoins une portée limitée : elle s’applique uniquement aux décisions d’adoptions étrangères. Pourtant, la porte est désormais ouverte, comme le constate l’avocate Caroline Mecary, sur son blog :« Il y a (donc) une discrimination très claire entre ceux qui vivent à l'étranger et ceux qui vivent en France. En conséquence, cet arrêt remet en question la législation de 1966 sur l'adoption qui, aujourd'hui, n'est réservée qu'aux couples de personnes mariées ou aux personnes célibataires ». Une piste que la Cour de cassation n’a pas souhaité suivre cette fois-ci.