Liberté d'expression : L’orientation sexuelle de Steve Briois relève du débat d’intérêt général

Steeve Briois, oct. 2015. Photo Jérémy-Günther-Heinz Jähnick.
Steeve Briois, oct. 2015. Photo Jérémy-Günther-Heinz Jähnick.

« Les interrogations d[’Octave Nitkowski] sur l’évolution de la doctrine [du Front national devenu Rassemblement national], présenté comme plutôt homophobe à l’origine, et l’influence que pourrait exercer, à ce titre, l’orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, rel[èvent] d’un débat d’intérêt général et [Steeve Briois] était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-Pas-de-Calais », a jugé la Cour de cassation pour infirmer la décision de la cour d’appel de Paris qui avait condamné le premier à payer au second 4 000 euros pour avoir révélé son homosexualité et sa vie de couple avec Bruno Bilde dans l’ouvrage « Le Front national des villes et le Front national des champs » (Éd. Jacob Duvernet, déc. 2013, 185 p., 17,90 €).

En référé, la cour d’appel de ParisParis, ch. 1-2, 19 déc. 2013, n° 13/23969, société éditions Jacob Duvernet c/ Steeve Briois et Bruno Bilde. avait partiellement infirmé l’ordonnance du premier jugeTGI Paris, ord., 12 déc. 2013, n° 13/59428, Steeve Briois et Bruno Bilde c/ société éditions Jaocb Duvernet et Octave Nitkowski. en réduisant le nombre de pages à supprimer de l'ouvrage au motif que « seule l'évocation de l'homosexualité de M. Briois apparaît justifiée [...] l'homosexualité de M. Bilde et [leur] vie de couple » n'ayant pas à être maintenue dans le livre.

Sur le fond, une autre chambre de la cour d’appel de ParisParis, ch. 2-7, 31 mai 2017, Steeve Briois c/ Octave Nitkowski. avait, en revanche, infirmé le jugement des premiers jugesTGI Paris, 17e ch., 8 juill. 2015, n° 14/06156, Steeve Briois c/ Nitkowski. qui avait débouté M. Briois de toutes ses demandes au motif que « l’évocation [de son homosexualité] était légitime dès lors qu’elle se rapportait à l’évolution d’un parti politique ayant montré des signes d’ouverture à l’égard des homosexuels à l’occasion de l’adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe ».

La cour retenant, quant à elle, que M. Briois « ne s’est jamais publiquement exprimé sur un sujet lié de près ou de loin à une appartenance sexuelle quelconque et que le seul article de presse produit, s’agissant [de la loi sur le] mariage pour tous, paraît plutôt démontrer qu’il n’était nullement en faveur du projet de loi, sa seule appartenance au Front national et les responsabilités qu’il y exerce n’apparaissent pas […] suffire à estimer qu’il était légitime, comme relevant de l’information due au public et aux électeurs, notamment de la ville d’Hénin Beaumont, de révéler son homosexualité, en raison de l’influence supposée que cette orientation sexuelle exercerait sur le positionnement du parti […] l’auteur ne pouvait, pour illustrer sa démonstration, choisir de révéler l’orientation sexuelle de l’intéressé en partant du principe, pour le moins sommaire, qu’il a participé, du fait de son appartenance à la communauté homosexuelle, à l’orientation du parti s’agissant, notamment, du projet de loi sur le mariage pour tous ». La révélation de l’homosexualité de M. Briois ne lui apparaissant pas « être justifiée par l’intérêt légitime du public d’être informé sur l’évolution du parti politique auquel il appartient, ni proportionné à la gravité de l’atteinte portée à la sphère la plus intime de sa vie privée ».

C’est au visa des articles 9 du code civil et 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et après avoir rappelé que « le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression revêtent une même valeur normative » qu’il appartient au juge de « rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » que la première chambre civile de la Cour de cassationCiv. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-22381, Octave Nitkowski c/ Steeve Briois. casse et annule cet arrêt pour violation des textes précités en retenant que « les interrogations de l’auteur sur l’évolution de la doctrine d’un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l’origine, et l’influence que pourrait exercer, à ce titre, l’orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, relevaient d’un débat d’intérêt général et […] M. Briois était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-Pas-de-Calais ».