Périmètre du droit : Demanderjustice.com ne fournit qu’une prestation matérielle

La cour d’appel de Paris a confirmé pour l’essentiel le jugement des premiers juges qui avait débouté le Conseil national des barreaux (CNB) et l’Ordre des avocats de Paris de leurs demandes contre la société éditrice des sites demanderjustice.com et saisirprudhommes.com. Seuls points de consolation pour les instances représentatives de la profession, Demander Justice doit faire disparaître de son site, sous astreinte, les mentions relatives aux « taux de réussite, sauf à en mentionner précisément les modalités de calcul » et il lui est fait interdiction d’utiliser « ensemble les trois couleurs du drapeau français », également sous astreinte.
Créée le 21 mai 2012, la société Demander Justice, qui a pour objet « la création et l’exploitation d’applications logicielles et internet et le courtage en assurance », société exploite deux sites internet, intitulés demanderjustice.com et saisirprudommes.com, lesquels, moyennant rémunération, mettent à la disposition des clients, des formulaires-type de mise en demeure et permettent de saisir, sans recourir à un avocat, un tribunal d’instance ou un conseil des prud’hommes.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris a procédé à deux signalements au procureur de la République les 9 août 2012 et 19 février 2013 qui ont donné lieu à une enquête préliminaire, à la suite de laquelle le fondateur de la société, Jérémy Oinino, a fait l’objet de poursuites pénales pour « avoir, sans être régulièrement inscrit au barreau, assisté ou représenté des parties, postulé ou plaidé devant les juridictions ou organismes juridictionnels ou disciplinaires, de quelque nature que ce soit, en l’espèce, en mettant en place deux sites internet : l’un "DemanderJustice" destiné à réaliser des formalités de saisine des juridictions, l’autre "saisirprud’hommes" destiné à mettre en état les dossiers et à saisir les conseils des prud’hommes compétents ». Par un arrêt confirmatif définitif, la cour d’appel de Paris
Parallèlement, le 8 décembre 2014, le CNB a fait assigner la société Demander Justice devant le tribunal de grande instance de Paris pour qu’elle soit condamnée sous astreinte à « cesser toute activité d’assistance et de représentation en justice, de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé et à cesser l’exploitation des sites internet litigieux » et l’ordre des avocats de Paris est intervenu volontairement à cette instance et a formé les mêmes demandes. Le tribunal de Paris
La société DemanderJustice met à la disposition des internautes, relève la cour
L’internaute justiciable, qui choisit librement et seul de déclencher le processus, manifeste, poursuit la cour, sa volonté de « saisir la juridiction en appuyant sur un bouton de signature électronique, laquelle est certifiée par un organisme agréé, la déclaration de saisine générée par le logiciel étant ensuite matérialisée et expédiée à la juridiction par un prestataire avec application d’une signature mécanique ».
Pas de consultation juridique mais une prestation matérielle
Comme il a été déjà été relevé par les juridictions pénales et les premiers juges civils, souligne la cour, l’assistance juridique — que seul un avocat peut apporter à son client — se manifeste essentiellement par ce qu’il est convenu d’appeler « une prestation intellectuelle syllogistique » consistant à « analyser la situation de fait personnelle du justiciable pour y appliquer ensuite la règle de droit abstraite correspondante » et, au cas particulier, c’est l’internaute-justiciable qui fait seul ce travail en choisissant parmi les modèles proposés et classés celui qui convient à son cas, un peu comme le faisaient auparavant les utilisateurs de recueils de modèles de lettres prévues dans un grand nombre de situations classiques de conflits. Pour la cour, le site DemanderJustice effectue une simple « prestation matérielle de mise à disposition d’une bibliothèque documentaire » et non une assistance juridique au sens précité, et pour ce qui est de l’envoi de la déclaration, il ne s’agit, également, que d’une prestation matérielle d’entreprise.
Le fait que la société commerciale Demander Justice recrute un personnel de juristes qualifiés, selon la cour, s’explique par la nécessité d’offrir « une documentation parfaitement à jour et opérationnelle », le CNB et l’ordre des avocats du barreau de Paris ne justifiant pas que « le personnel du service téléphonique, tenu par une charte lui interdisant expressément de le faire, aurait dépassé sa mission de simple renseignement sur le fonctionnement du site et donné des conseils d’ordre juridique personnalisés assimilables à de l’assistance juridique interdite ». La lettre de mise en demeure n’est en effet pas remplie par la société DemanderJustice qui en fournit seulement un modèle, de sorte qu’il n’est pas possible, juge la Cour, de lui faire « grief de rédiger un acte juridique ».
Aucune tâche de représentation en justice
Contrairement à ce que soutiennent le CNB et l’ordre des avocats de Paris, l’internaute-justiciable ne donne pas, s’agissant du second grief, mandat à la société DemanderJustice de le représenter devant la juridiction saisie, selon la cour, car elle se borne à faire envoyer par un prestataire une impression papier de la déclaration de saisine, signée électroniquement au préalable par le requérant, accompagnée des justificatifs de l’authentification de celle-ci et revêtue d’une signature mécanique, en prévenant, de surcroît, que certains tribunaux ne considèrent pas comme valide ce mode de saisine, de sorte que dans cette hypothèse, les clients, qui se trouveraient dans cette situation rarissime, auront à signer manuellement la déclaration de saisine.
La cour en conclut que la société Demander Justice n’effectue « aucune tache de représentation en justice » qui lui serait interdite comme réservée aux avocats, une éventuelle irrégularité dans la déclaration de saisine étant « indifférente à l’absence de mandat de représentation donné par le requérant, lequel, seul présent à l’audience de la juridiction, sera à même de confirmer qu’il est bien à l’origine de la démarche ».
Ni démarchage ni pratiques commerciales trompeuses
Et en l’absence de toute activité de consultation ou de rédaction d’actes en matière juridique par la société Demander Justice, il ne peut y avoir, juge la cour, d’activité illégale de démarchage à cette fin, ni de publicité trompeuse au sens du décret 72-785 du 25 août 1972. Itou pour les pratiques commerciales trompeuses alléguées puisque dans la quasi-totalité des cas, les internautes justiciables effectuent la saisine de la juridiction compétente sur internet, de sorte qu’il est « abusif » de prétendre que l’indication d’une saisine par internet serait trompeuse et, de même, pour la signature mécanique ou esthétique apposée sur la déclaration de saisine pour matérialiser la signature électronique, cette façon de procéder n’ayant pas posé de « difficulté sauf dans une demi-douzaine de cas », les internautes étant informés de la solution consistant à réitérer la saisine avec la signature manuelle de la déclaration ».
Un taux de réussite qui reste à démontrer et les couleurs nationales à ne pas utiliser
Mais s’agissant des taux de réussite cités sur le site, il est « effectivement impossible que les pourcentages de réussite restent inchangés au fur et à mesure des années qui passent », selon la cour pour qui l’affichage de tels taux sans que l’on puisse en connaître les modalités de calcul apparaît de nature « à induire l’internaute en erreur » et la cour estime plus judicieux « d’enjoindre sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard […] de les faire disparaître de son site dans le mois de la signification de cet arrêt, sauf à en mentionner les modalités précises de calcul » plutôt que de les interdire.
De même pour l’utilisation d’un bandeau tricolore, d’un logo et d’un petit personnage portant les habits de juge avec un habit bleu, blanc et rouge sous un bandeau ou un liseré tricolore qui sont de nature à laisser penser aux internautes qu’ils ont à faire à un site officiel, il est fait interdiction à la société DemanderJustice, afin d’éviter tout risque de confusion, de continuer « à utiliser ensemble les trois couleurs du drapeau français », un mois après la signification de cette décision, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard.
Dans la mesure où DemanderJustice « évolue », indique la cour, à « proximité de la frontière du périmètre du droit réservé aux avocats », il n’est pas fait droit à ses demandes reconventionnelles car il ne peut être reproché au CNB et à l’ordre des avocats du barreau de Paris de « diligenter des actions pour en protéger les abords » mais le CNB et l’ordre des avocats de Paris devront lui verser, chacun, 2 500 euros au titre des frais irrépétibles. Ses demandes reconventionnelles à concurrence de plus de 16 millions d’euros sont toutes rejetées.