Secret professionnel : Les correspondances échangées entre l’avocat et les autorités ordinales ne sont pas confidentielles

Code de déontologie du barreau de Paris.

Par substitution d’un motif de pur droit, la première chambre civile de la juridiction suprême a jugé que « le règlement intérieur d’un barreau ne peut, sans méconnaître [les] dispositions [de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971], étendre aux correspondances échangées entre l’avocat et les autorités ordinales le principe de confidentialité institué par le législateur pour les seules correspondances échangées entre avocats ou entre l’avocat et son client ».

À l’occasion d’une affaire où un avocat soutenait que la lettre d’un délégué du bâtonnier qui lui avait été adressée en sa qualité de président d’une association n’était pas confidentielle, la cour suprême ne fait pas dans le détail en rendant un arrêt de principe qui rappelle à l’ordre le barreau de Paris qui avait cru pouvoir étendre la confidentialité au-delà de ce qui avait été prévu par le législateur.

En l’espèce, deux avocats parisiens se disputaient, fin 2006, la présidence d’une association Il Palazzo Italiano créée quelques semaines auparavant et après quelques échanges, ils avaient, tous deux, été destinataires d’une lettre en date du 13 février 2007 d’un délégué du bâtonnier, sous la signature de Caroline Mécary, « invit[ant] la partie la plus diligente à faire le nécessaire pour que l’association soit dissoute à défaut d’autres solutions propres à remédier aux dissensions opposant les sociétaires ».

Les dissensions n’ayant pu être surmontées, l’un mit l’association en liquidation et l’autre se lança dans des procédures judiciaires pour mettre la main sur le fichier et le compte en banque de l’association et c’est dans ces circonstances que le premier a, au mois de novembre 2008, « fait délivrer à Mme Marie-Christine Giallombardo une citation directe pour dénonciation calomnieuse à laquelle était jointe une copie de la lettre des autorités ordinales ».

Avisé de la situation, le bâtonnier de l’époque, Christian Charrière-Bournazel, a demandé « de retirer la citation délivrée en méconnaissance, selon le représentant de l’ordre, du caractère confidentiel de la correspondance ainsi divulguée, avant d’engager des poursuites à son encontre, lui reprochant d’avoir violé le secret professionnel […] ». La sanction prononcée par la formation n° 3 du conseil de discipline de Paris présidée par Dominique de La Garanderie était particulièrement sévère : 3 mois avec sursis d’interdiction temporaire d’exercice de la profession d’avocat Cons. disc. barreau de Paris, form. n° 3, 6 nov. 2009, n° 166306, Autorité de poursuite de l’ordre des avocats de Paris c/ Alfredo Allegra..

Les activités de président d'association et d'avocat ne peuvent se confondre
Cour d'appel de Paris, 1ère chambre, audience solennelle, 27 mars 2010.

Sur appel de l’avocat, la cour de ParisParis, pôle 2 - ch. 1, aud. sol., 27 mai 2010, n° 09/28401, Alfredo Allegra. infirmera l’arrêté disciplinaire et le relaxera des fins de la poursuite aux motifs que « la lettre du 13 février 2007 ne présente aucun caractère confidentiel » car d’une part, l’association Il Palazzo Italiano ne comprend pas, parmi ses membres, uniquement des avocats mais aussi leurs conjoints, mariés ou pacsés, et de seconde part, aucune mention relative à la confidentialité n’était portée sur cette lettre adressée à deux prétendants présidents d’une association et non pas à deux avocats ès qualités et enfin, de troisième part, les deux activités, en l’espèce, ne peuvent, disait en substance la formation solennelle de la cour de Paris, « se confondre ».

Pas content qu’une « injonction » de l’un de ses délégués à un président d’une association puisse être considérée comme « non confidentielle », le bâtonnier a décidé de se pourvoir en cassation en excipant de la violation par la cour de Paris de l’article P.3.0.1 du règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP) selon lequel « […] les communications et correspondances entre l’avocat et toute autorité compétente de l’Ordre » sont confidentielles et en soutenant, selon le moyen annexé à l’arrêt, que « ce n’est qu’en leur qualité d’avocats que, dans le cadre d’un conflit les opposant, des colitigants peuvent solliciter des avis déontologiques de l’ordre des avocats, de sorte qu’est couvert par la confidentialité le courrier qui leur est adressé dans ce cadre par l’autorité compétente ».

Au visa de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, la cour de cassationCiv. 1ère, 22 sept. 2011, n° 10-21219, Bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour d’appel de Paris c/ Alfredo Allegra, “Les correspondances entre l’avocat et les autorités ordinales ne bénéficient pas du principe de confidentialité”, La Semaine juridique, édition générale, n° 40, 3 oct. 2011, Jurisp., n° 1038, p. 1742 , “Il n’y aurait donc pas de confidentialité en dehors du secret professionnel !”, id., n° 46, 14 nov. 2011, Jurisp., n° 1243, p. 2233 à 2235, note Yves Repiquet, “L’arrêt du 22 septembre 2011 et la déclaration de soupçon, quel secret professionnel ?”, la Gazette du Palais, n° 296-298, 23-25 oct. 2011, Doct., p. 13, note François-Xavier Mattéoli, “Secret professionnel - confidentialité et... secret défense ?”, id., n° 310-312, 6-8 nov. 2011, Jurisp., p. 12 à 15, note Dominique Piau. rappelle d'abord le texte de loi qui ne vise que les correspondances échangées entre le client et l’avocat d’une part, et entre l’avocat et ses confrères d’autre part.

Le bâtonnier de Paris a méconnu les dispositions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971
Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 septembre 2011.

Passant ensuite outre à l’analyse fine à laquelle avait dû croire se livrer la cour de Paris pour infirmer l'arrête querellé, la première chambre civile de la cour de cassation présidée par M. Christian Charruault fait application de l’article 1015 du code de procédure civile et relève d’office qu’en étendant « aux correspondances échangées entre l’avocat et les autorités ordinales le principe de confidentialité institué par le législateur pour les seules correspondances échangées entre avocats ou entre l’avocat et son client », le bâtonnier de Paris Jean Castelain a méconnu les dispositions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, étant précisé que les dispositions litigieuses de l’article P.3.0.1 du RIBP ont été adoptées sous le bâtonnat de Christian Charrière-BournazelConseil de l’ordre de Paris, 27 mars 2007, Bull. du barreau, n° 11, 3 avr. 2007..

Et si les dispositions de l’article P.3.0.1 du règlement intérieur du barreau de Paris sont de facto annulées, toutes les dispositions identiques de tous les autres barreaux de France et de Navarre, sans fondement légal, sont également annulées ou annulables. Invité à réagir, le bâtonnier de Paris n'a pas répondu à la sollicitation de LexTimes.fr.