Consultations juridiques : Annulation sans dédommagement du contrat dont la cause est illicite

La cour d’appel de Versailles a annulé, sur renvoi après cassation, un contrat portant sur des prestations juridiques que la société Groupe Altax n’était pas habilitée à fournir à titre principal.

La société Covinor avait confié, le 10 juillet 2007, à la société Altax, qui se dit« spécialiste du conseil en optimisation sociale et fiscale », une mission intitulée « audit de taxe professionnelle » pour les années 2007 à 2009, consistant en l’analyse des critères de calcul de la taxe professionnelle à laquelle la première était assujettie et dans la présentation et la défense en personne, aux terme des travaux, du rapport d’audit à l’administration fiscale compétente, moyennant une rémunération calculée sur la base de 50 % des dégrèvements obtenus et des économies et crédits d’impôts réalisés.

Se prévalant de dégrèvements de taxe professionnelle obtenus par son intervention, la société Altax a alors facturé à la société Covinor, le 5 mai 2008, 95 082 euros à titre d’honoraires que cette dernière a refusé de payer lorsqu’elle s’est rendue compte de la simplicité et de la rapidité de la procédure du fait de l’implantation de son siège dans une zone prioritaire d’aménagement lui permettant de bénéficier facilement d’une exonération de taxe professionnelle.

Mais c’est sur l’illicéité du contrat au regard des articles 54 et 60 de la loi 
n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que se focaliseront les juridictions saisies, l’article 1131 du code civil disposant que « l’obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet ».

C’est donc au visa des deux articles précités de la loi de 1971 selon lesquels, en dérogation au monopole instauré au profit des professions réglementées, « les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue […] peuvent […] donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité », que la première chambre civile de la cour de cassationCiv. 1re, 19 juin 2013, n° 12-20832, société Covinor c/ société Groupe Altax, intervention volontaire du Conseil national des barreaux (CNB) jugée recevable. avait cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris confirmant un jugement du tribunal de commerce de Paris, condamnant la société Covinor à payer à la société Altax la somme de 95 082 euros, en retenant que « la détermination de la taxe professionnelle due […] constituait elle-même une prestation à caractère juridique ne relevant pas directement de l'activité principale de la société Groupe Altax » puisque les juges du fond avaient relevé, souligne-t-elle, que « les dégrèvements consentis avaient été obtenus par la mise en œuvre de la législation applicable et par l'engagement et le suivi de la réclamation contentieuse de la part de la société Groupe Altax et […] l'intervention de celle-ci avait déchargé la société Covinor des recherches intellectuelles et des démarches administratives et contentieuses ».

Le Conseil national des barreaux (CNB), en charge de représenter les quelque 60 000 avocats de France, était intervenu volontairement à l’instance pour demander l’annulation de ce contrat illicite et la condamnation de la société Altax à lui payer 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ainsi que la publication de la décision à intervenir dans six journaux et revues.

Pour parvenir aux dégrèvements obtenus, relève la cour de renvoiVersailles, 13e ch., 18 sept. 2014, n° 13/06016, société Covinor c/ société Groupe Altax, intervention volontaire du Conseil national des barreaux (CNB) jugée recevable., la société Altax ne s’est pas limitée à de simples calculs techniques de cohérence entre les sommes dues et les sommes déclarées et réclamées mais a procédé à « une interprétation juridique personnalisée de la législation et de la réglementation applicables, et de la jurisprudence et de la doctrine administrative transposables à la situation de la société Covinor pour en déduire que cette société était implantée dans une zone d’emploi en grande difficulté, que son activité pouvait être qualifiée d’industrielle en ce qu’elle concourait directement à la transformation de matières premières ou de produits semi-industriels en produits fabriqués et en ce qu’elle donnait un rôle prépondérant au matériel et à l’outillage utilisés pour la réalisation de ces derniers et qu’elle pouvait en conséquence bénéficier du dispositif temporaire de crédit de taxe professionnelle en application de l’article 1647 C sexies du code général des impôts ».

Pour la cour de Versailles, ce diagnostic résultant de la confrontation des normes juridiques applicables aux données apportées par la société Covinor et aboutissant à l’engagement et au suivi de la réclamation contentieuse sur sa seule initiative constituaient en elle-même « une prestation à caractère juridique ne relevant pas directement de l’activité principale de la société Altax pour laquelle elle bénéficiait d’un agrément » et juge que la cause du contrat étant illicite, il doit être annulé. La demande en paiement de la société Altax est par voie de conséquence rejetée dans sa totalité dans la mesure où elle ne peut demander la réparation d’un préjudice né de l’inexécution ou de la nullité d’un contrat illicite.

Le préjudice moral du CNB est réparé par l’allocation de la somme d’un euro symbolique à titre de dommages-intérêts mais la portée de l’arrêt étant limitée au contrat passé entre les parties, il n’est pas fait droit « à la mesure de publication demandée par le CNB qui n’est d’ailleurs pas sollicitée par la société Covinor elle-même », relève la cour. Avec les dépens et 1 000 euros au titre des frais irrépétibles, le CNB s’en sort néanmoins un peu mieux que dans l’arrêt Alma consulting groupParis, pôle 2, ch. 1, 18 sept. 2013, n° 10/25413, Conseil national des barreaux c/ société Alma consulting group et a. à l’occasion duquel sa demande de « condamnation générale » avait indisposé la juridiction de renvoi et lui avait valu de ne rien obtenir du tout.

Comme ce fut le cas pour Alma consulting group, cette décision n’est toutefois pas la fin du calvaire d’Altax mais le début puisqu’elle devrait permettre aisément à ses clients de refuser de payer une prestation illicite qu’elle n’est pas autorisée à fournir à titre principal.