Réfugiés : Modalités d'évaluation de la crédibilité de l'homosexualité de demandeurs d'asile

La Cour de justice de l'Union européenne clarifie, dans un arrêt rendu hier sur question préjudicielle soumise par le Conseil d'État néerlandais, les modalités selon lesquelles les autorités nationales peuvent « évaluer la crédibilité de l’orientation homosexuelle de demandeurs d’asile ».

Ce sont les directives 2004/83 et 2005/85 qui établissent, respectivement, des normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié et les procédures d’examen des demandes d’asile en précisant les droits des demandeursDirective 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, J.O.UE, L 304, p. 12, et directive 2005/85/CE du Conseil, du 1erdécembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, J.O.UE, L 326, p. 13 et rectificatif J.O.UE, 2006, L 236, p. 36.. En l'espèce, trois ressortissants de pays tiers ont, chacun, introduit une demande d’asile aux Pays-Bas, en invoquant leur crainte d’être persécutés dans leurs pays d’origine en raison de leur homosexualité mais leurs demandes ont été rejetées par les autorités compétentes au motif que « leur orientation sexuelle n’était pas établie ».

Les trois demandeurs ont alors interjeté appel et saisi du litige, le Conseil d’État néerlandais (Raad van State) a demandé à la Cour de préciser les éventuelles limites qu’imposerait le droit de l’Union « quant à la vérification de l’orientation sexuelle des demandeurs d’asile ». La haute juridiction administrative néerlandaise considère en effet que le seul fait de poser des questions au demandeur d’asile peut, dans une certaine mesure, porter atteinte aux droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

À titre liminaire, la Cour relève que les déclarations d’un demandeur d’asile relatives à son orientation sexuelle ne sont que le point de départ du processus d’examen de la demande et peuvent nécessiter confirmation mais les modalités d’appréciation, par les autorités compétentes, de ces déclarations et des éléments de preuve présentés à l’appui de demandes d’asile doivent être conformes au droit de l’Union et, notamment, aux droits fondamentaux garantis par la Charte, tels que « le droit au respect de la dignité humaine et le droit au respect de la vie privée et familiale ».

Cette évaluation, poursuit la Cour, doit être « individuelle » et tenir compte du statut individuel ainsi que de la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs tels que son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si les actes auxquels celui-ci a été ou risque d’être exposé peuvent être considérés comme « une persécution ou une atteinte grave ».

C'est dans ce contexte que la Cour fournit quelques pistes quant aux modalités d’appréciation par les autorités nationales de l'orientation sexuelle d'un demandeur d'asile. Premièrement, indique-t-elle, « l’évaluation des demandes d’asile sur la seule base de notions stéréotypées associées aux homosexuels ne permet pas aux autorités de tenir compte de la situation individuelle et personnelle » du demandeur concerné. Ainsi, l’incapacité d’un demandeur d’asile de répondre à de telles questions n’est donc pas, à elle seule, un motif suffisant pour conclure au défaut de crédibilité du demandeur.

Deuzio, si les autorités nationales sont fondées à procéder à des interrogatoires destinés à apprécier les faits et les circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, « les interrogatoires concernant les détails des pratiques sexuelles du demandeur sont contraires aux droits fondamentaux » garantis par la Charte et, notamment, au droit au respect de la vie privée et familiale.

S’agissant, troisièmement, de la possibilité, pour les autorités nationales, d’accepter — ainsi que l’ont proposé certains demandeurs d’asile — l’accomplissement d’actes homosexuels, la soumission à d’éventuels « tests »en vue d’établir leur homosexualité ou bien encore la production de preuves telles que des enregistrements vidéo de leurs actes intimes, la Cour souligne que, outre le fait que de tels éléments n’ont pas de valeur nécessairement probante, ils seraient « de nature à porter atteinte à la dignité humaine » dont le respect est garanti par la Charte et, au surplus, autoriser ou accepter un tel type de preuves emporterait un effet incitatif à l’égard d’autres demandeurs et reviendrait, de facto, à imposer à ces derniers de telles preuves.

Et, enfin, quatrièmement, compte tenu du caractère sensible des informations ayant trait à la sphère personnelle d’une personne et, notamment, à sa sexualité, il ne saurait être conclu à un défaut de crédibilité du seul fait que, en raison de sa réticence à révéler des aspects intimes de sa vie, cette personne n’ait pas d’emblée déclaré son homosexualité.