Diffamation : La banque Fortuneo déboutée de toutes ses demandes contre LexTimes

Tribunal de grande instance de Paris
Tribunal de grande instance de Paris

La chambre civile de la presse du tribunal de grande instance de Paris a retenu la bonne foi de l’auteur d’un article publié le 1er avril 2014 sur LexTimes.fr et a débouté la banque en ligne Fortuneo, devenue entre-temps Arkea Direct Bank, de l’ensemble de ses demandes contre le journal et l’a condamnée aux dépens et à payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Fortuneo avait fait délivrer assignation le 30 juin 2014 à l’association éditrice et au directeur de publication de LexTimes concernant trois passages d’un article publié le 1er avril 2014 et intitulé « Fortuneo ne trouve pas de prêteurs pour couvrir ses positions » par elle jugés diffamatoires, à savoir :

« "Vous devez racheter au minimum 2507 titres sur la valeur TARKETT […] au plus tard […] le 31/03/2014 à 16h00", écrit le responsable du service clients de Fortuneo Banque, Philippe Dubois, dans un courriel daté du 28 mars 2014 à 11h40 à l’un de ses clients concernant une position initiée la veille, en lui précisant être "dans l’incapacité de trouver des prêteurs pour couvrir [sa] position vendeuse sur cette valeur" sans toutefois qu’un quelconque message d’alerte ou une quelconque restriction n’apparaisse lors du passage de l’ordre et que la valeur reste disponible à la vente à découvert sur la plateforme Fortuneo alors qu’elle n’est pas éligible au service de règlement différé (SRD) dans d’autres établissements tels, par exemple, Boursorama ou ING Direct./ Pour tenter de contraindre ses clients à se racheter à perte après avoir payé pour un service qui ne leur est pas fourni […] »,
« Alertée, l’Autorité des marchés financiers (AMF) dit prendre note du signalement et devrait sans doute procéder à un contrôle dans les prochains jours des services que Fortuneo Banque propose, facture et encaisse tout en sachant être incapable de les fournir »,
« Aux clients qui seraient concernés par ce genre de pratiques déloyales […] ».

Après avoir rappelé que la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des « éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent », le tribunalTGI Paris, 17e ch., 4 oct. 2017, n° 14/09828, société Arkea Direct Bank, anciennement Fortuneo c/ Jon Helland et association Les Éditions Numériques Juridiques. retient comme diffamatoire le premier passage incriminé seulement, le signalement à l’Autorité des marchés financiers (AMF) décrit, indique-t-il, « l’éventualité d’un contrôle, soit un événement futur et hypothétique », ce qui n’est « ni attentatoire à l’honneur et à la considération, ni susceptible de faire l’objet d’un débat probatoire ».

Pour ce qui est du passage pouvant être considéré comme diffamatoire, le tribunal considère que l’offre de preuve — deux courriels émanant de deux clients différents de Fortuneo — de la vérité des faits diffamatoires fournie par le journal n’est pas « parfaite » et que « dans ces circonstances, le comportement malhonnête [de Fortuneo] n’est pas prouvé de manière parfaite et complète, puisque [de surcroît] les conditions générales [de Fortuneo] pouvaient permettre au client, certes particulièrement attentif et vigilant, de connaître les risques sur les positions vendeuses ».

Mais s’agissant de la bonne foi que la jurisprudence retient traditionnellement lorsque l’auteur prouve qu’il a poursuivi « un but légitime, étranger à toute animosité personnelle et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression », le tribunal retient, au cas particulier, que « le fait, pour un journal d’information en ligne à caractère juridique, de faire un article portant sur les services offerts par une banque en ligne représente un but légitime d’expression », ces informations étant de nature à intéresser les clients de Fortuneo et, plus largement, « les investisseurs intéressés par les modalités des services de règlement différé ».

Il ne peut être retenu, poursuit le tribunal, d’animosité personnelle à l’égard de Fortuneo et l’article n’a été publié qu’à l’issue d’une enquête sérieuse — les deux courriels émanant de deux clients différents de Fortuneo, vérifications auprès de ING Direct et Boursorama Banque faisant état de la non-éligibilité de la valeur Tarkett au SRD — et avec « prudence dans l’expression » en prenant soin, souligne le tribunal, de citer entre guillemets le message adressé au client par Fortuneo et en reproduisant les conditions générales que l’auteur critique, l’internaute étant ainsi « informé de l’origine des écrits produits, le titre de l’article ("Bourse : Fortuneo ne trouve pas de prêteurs pour couvrir ses positions") étant d’ailleurs d’ordre factuel, sans outrance ni attaques ».

Toutes les conditions de la bonne foi étant réunies, la banque Fortuneo est donc déboutée de l’ensemble de ses demandes et succombant, l’association éditrice et le directeur de publication de LexTimes obtiennent 1 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles.