Procès inéquitable : Un magistrat payé par l’ordre des chirurgiens-dentistes

Dans le bras de fer qui l’oppose depuis plus d'une décennie à son ancienne instance disciplinaire, Philippe Rudyard Bessis, un ancien chirurgien-dentiste radié (re)devenu avocat, vient de marquer un point décisif devant la cour d’appel de Lyon qui le fait bénéficier de l’exceptio veritatis pour des propos rapportés par le magazine Lyon Capitale selon lesquels un conseiller d’État honoraire, présidant l’instance disciplinaire d’appel, est directement défrayé par le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD).
Radié de l’ordre des chirurgiens-dentistes par une décision définitive du 24 octobre 2011 pour avoir écrit plusieurs articles « virulents » au cours de l’année 2007, conseillé à ses confrères exerçant en société de ne pas payer la cotisation ordinale due par la structure et fait la promotion de formations payantes, Philippe Rudyard Bessis, 62 ans, docteur en chirurgie et docteur en droit, spécialiste des procédures disciplinaires, n’a pas enterré la hache de guerre malgré sa (ré)inscription au barreau de Paris en juin 2012 — sa toute première robe noire date du 6 novembre 1996 et il avait rapidement dû y renoncer faute de pouvoir la cumuler avec celle, blanche, de chirurgien-dentiste — et avait ainsi gratifié, le 5 février 2010, le président du CNOCD Christian Couzinou d’une lettre ouverte intitulée « Ordre, argent et méthodes douteuses » qui lui a valu une condamnation selon un arrêt de renvoi rendu après cassation contre lequel il s’est pourvu en cassation.
Plus récemment, Me Bessis s’est confié à une journaliste, Pascale Tournier, qui lui a ensuite consacré un article dans le numéro du mois de juin 2015 du magazine Lyon Capitale intitulé « Affaire Bessis : un magistrat payé par une des parties ? » dans lequel elle livre les fruits de son enquête en ces termes : « Dans son combat contre l’ordre national des chirurgiens-dentistes, qui dure depuis les années 90, l’ancien dentiste Philippe Rudyard Bessis a découvert des circuits d’argent douteux entre l’ordre et des magistrats […] L’objectif de l’ordre en me radiant visait à m’intimider et à me faire taire […] l’ex-praticien découvre de drôles de liens financiers entre l’ordre et le conseiller d’État chargé de rendre la justice pour le compte de l’ordre. Le magistrat Jean-François de Vulpillières […] est à l’origine de la radiation de Bessis de l’ordre des dentistes en 2011. Selon Philippe Rudyard Bessis, il a reçu une commission ‘spéciale’ de près de 39 200 euros de l’ordre national des chirurgiens-dentistes en février 2009. Monsieur Bessis a également découvert que ce versement s’ajoutait à la rémunération annuelle du conseiller d’État (près de 31 040 euros) donnée en 2008 par l’ONCD. "Un magistrat payé par un plaignant, c’est du jamais vu – le ministre de la justice, qui le nomme, devrait payer ses émoluments. Mais qu’il puisse recevoir une somme en échange d’éventuels services rendus, encore moins. C’est totalement illégal. Selon le code pénal, un magistrat ne peut pas toucher un avantage émanant de l’une des deux parties", tempête Philippe Rudyard Bessis. L’ordre qui paie le magistrat est en effet à l’origine de la demande de radiation de Bessis. L’ancien dentiste d’observer encore : "la somme rondelette est curieusement versée à M. de Vulpillières environ deux jours après avoir réceptionné ma procédure en appel contre ma radiation" ».
À l’instar du tribunal correctionnel de Lyon
Le magistrat qui préside la chambre de discipline des chirurgiens-dentistes perçoit des émoluments du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes
Cour d’appel de Lyon, 13 déc. 2016, n° 16/01413.
Reformulant la question au centre des débats et même si le magistrat concerné — le conseiller d’État honoraire Jean-François de Vulpillières présidant la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des chirurgiens-dentistes — n’a pas perçu « la somme de 39 200,61 euros dans le cadre du seul dossier BESSIS », pour la cour, la question pertinente soulevée par le dossier est « l’existence d’une procédure impartiale et objective suivie dans le cadre d’un procès équitable en soi » et ce « contrairement à ce que soutient la partie civile à la fois dans ses conclusions et ses explications orales lors des débats », soulignant que « les paroles et expressions matérialisant cette question de principe » se trouvent dans le libellé du titre et dans le corps de l’article jugés en soi diffamatoires.
Il ne fait pas de doute, pour la cour d’appel de Lyon, que M. de Vulpillières et ses trois assesseurs, qui ont eu à statuer sur le dossier Bessis les 18 mars 2010 et 24 octobre 2011, ont « effectivement perçu des émoluments du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes » et « la question de l’impartialité objective ou de l’indépendance du ou des magistrats ayant tranché le cas particulier de Philippe Bessis est donc bien en soi, souligne-t-elle, une question factuelle », étant précisé que « les modalités selon lesquelles les juges composant les juridictions du premier et du second degré reçoivent leur rémunération du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes demeurent par ailleurs inconnues (fondement ou base textuelle) en l’état des éléments […] fournis à la cour ».
Sans qu’il soit besoin d’examiner la bonne foi des prévenus, la cour en déduit que les propos reprochés « reposent sur des éléments factuels dont la preuve est rapportée en application des dispositions des articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 ». La partie civile s’est pourvue en cassation mais les parlementaires et l’exécutif pourraient également se saisir de la question.