Directive antiblanchiment : Invalidation de l’accès au grand public des informations sur les bénéficiaires effectifs

Le registre des bénéficiaires effectifs n'a pas à être accessible au grand public
Le registre des bénéficiaires effectifs n'a pas à être accessible au grand public.

La disposition prévoyant que les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés constituées sur le territoire des États membres soient accessibles dans tous les cas à tout membre du grand public est invalide, a jugé la Cour de justice de l’Union européenne qui estime que l’ingérence dans les droits garantis par la Charte que comporte cette mesure n’est « ni limitée au strict nécessaire ni proportionnée à l’objectif poursuivi ».

Une loi luxembourgeoise adoptée en 2019 2 a en effet institué, en application de la Directive antiblanchimentDirective (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, J.O.UE 2018, L 156, p. 43. un Registre des bénéficiaires effectifs et prévoit que toute une série d’informations sur les bénéficiaires effectifs des entités immatriculées doivent y être inscrites et conservées. Certaines de ces informations sont accessibles au grand public, notamment par internet et la loi prévoit également la possibilité qu’un bénéficiaire effectif puisse demander au gestionnaire du Registre, Luxembourg Business Registers (LBR), de limiter l’accès à de telles informations dans certains cas.

C’est ainsi que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a été saisi de deux recours introduits respectivement par une société luxembourgeoise et par son bénéficiaire effectif lesquels avaient vainement demandé à LBR de limiter l’accès du grand public aux informations les concernant. Estimant que la divulgation de telles informations est susceptible d’entraîner un risque disproportionné d’atteinte aux droits fondamentaux des bénéficiaires effectifs concernés, le tribunal a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de certaines dispositions de la directive antiblanchiment et sur leur validité au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Dans sa formation la plus solennelle, la CourCJUE, gde ch., 22 nov. 2022, n° C-37/20, Luxembourg Business Registers ; n° C-601/20, Sovim. dit constater l’invalidité, au regard de la Charte, de la disposition de la directive antiblanchiment prévoyant que les États membres doivent veiller à ce que les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire soient accessibles « dans tous les cas à tout membre du grand public ». L’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs constitue, selon la Cour, « une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, respectivement consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte ». Les informations divulguées permettent en effet à un nombre potentiellement illimité de personnes de s’informer sur la situation matérielle et financière d’un bénéficiaire effectif. Les conséquences potentielles résultant d’une éventuelle utilisation abusive de leurs données à caractère personnel sont aggravées, estime la Cour, par le fait que, une fois mises à la disposition du grand public, ces données peuvent non seulement être librement consultées, mais également être conservées et diffusées.

La Cour relève toutefois que le législateur de l’Union vise à prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en mettant en place, au moyen d’une transparence accrue, un environnement moins susceptible d’être utilisé à ces fins et en cela, il poursuit ainsi un objectif d’intérêt général susceptible de justifier des ingérences graves et l’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs est apte à contribuer à la réalisation de cet objectif.

L’ingérence que comporte cette mesure n’est toutefois ni limitée au strict nécessaire ni proportionnée à l’objectif poursuivi. Les dispositions litigieuses autorisent non seulement la mise à la disposition du public de données qui ne sont pas suffisamment définies ni identifiables mais cela constitue « une atteinte considérablement plus grave aux droits fondamentaux garantis aux articles 7 et 8 de la Charte que le régime antérieur » — qui prévoyait, outre l’accès des autorités compétentes et de certaines entités, celui de toute personne ou organisation capable de démontrer un intérêt légitime — sans que cette aggravation soit compensée par les bénéfices éventuels qui pourraient résulter du nouveau régime par rapport à l’ancien, en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.