Directive retour : Une entrée irrégulière est insuffisante à justifier un emprisonnement

Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg
Cour de justice de l'Union européenne, Luxembourg.

La directive retour s’oppose à ce qu’un ressortissant d’un pays non UE puisse, avant d’être soumis à la procédure de retour, être mis en prison au seul motif de son entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre via une frontière intérieure de l’espace Schengen. Il en va ainsi également, selon la Cour de justice de l'Union européenne, lorsque ce ressortissant, qui se trouve en simple transit sur le territoire de l’État membre concerné, se fait intercepter lors de sa sortie de l’espace Schengen et qu’il fait l’objet d’une procédure de réadmission vers l’État membre d’où il vient.

La directive sur le retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier (directive retour)Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, J.O.UE, L 348, p. 98. Le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande ne sont pas soumis à cette directive. établit des normes et procédures communes applicables dans les États membres pour l'éloignement de leur territoire de ressortissants de pays non UE en séjour irrégulier. Elle prévoit qu’une décision de retour doit être adoptée à l'égard de tout ressortissant d’un pays non UE en séjour irrégulier qui ouvre, en principe, une période de retour volontaire suivie, si nécessaire, de mesures d’éloignement forcé. En cas de défaut de départ volontaire, la directive impose aux États membres de procéder à l’éloignement forcé en employant les mesures les moins coercitives possible. Ce n’est que si l’éloignement risque d’être compromis que l’État membre peut procéder à la rétention de la personne concernée, rétention dont la durée ne peut dépasser en aucun cas 18 mois.

Le droit français prévoit que les ressortissants de pays non UE peuvent être punis d’une peine d’emprisonnement d’un an s’ils sont entrés irrégulièrement sur le territoire français. Par ailleurs, en France, une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement peut être placée en garde à vue.

Au cas particulier, le 22 mars 2013, une jeune femme de nationalité ghanéenne, Sélina Affum, a été interceptée par la police française au point d’entrée du tunnel sous la Manche, alors qu’elle était à bord d’un autobus en provenance de Gand, en Belgique, et à destination de Londres, au Royaume-Uni. Ayant présenté un passeport belge comportant la photographie et le nom d’un tiers et étant dépourvue de tout autre document d’identité ou de voyage à son nom, elle a été, dans un premier temps, placée en garde à vue pour entrée irrégulière sur le territoire français. Les autorités françaises ont ensuite demandé à la Belgique de la réadmettre sur son territoire. Contestant la régularité de son placement en garde à vue, la Cour de cassation a demandé à la juridiction européenne si, au regard de la directive retour, l’entrée irrégulière d’un ressortissant d’un pays non UE sur le territoire national peut être réprimée d’une peine d’emprisonnement.

Après avoir rappelé sa jurisprudence AchughbabianCJUE, 6 déc. 2011, n° C-329/11, Achughbabian. selon laquelle la directive retour s’oppose « à toute réglementation d’un État membre qui réprime le séjour irrégulier par l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays non UE, pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme » mais que cette même jurisprudence permet toutefois d’emprisonner un tel ressortissant dès lors qu’il a préalablement fait l’objet de cette procédure et qu’il continue à séjourner irrégulièrement sur le territoire de l’État membre sans motif justifiéDans un autre arrêt, la Cour a précisé que la directive ne s’oppose pas non plus à l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays non UE en séjour irrégulier, lorsque la procédure de retour a été appliquée et que le ressortissant entre de nouveau sur le territoire de l’État membre en violation d’une interdiction d’entrée (CJUE, 1er oct. 2015, n° C-290/14, Celaj., la CourCJUE, 7 juin 2016, n° C-47/15, Sélina Affum c/ Préfecture du Pas de Calis et parquet général de Douai. note que la directive ne s’oppose pas, non plus, à un placement en rétention administrative en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays non UE.

L’entrée irrégulière constitue, relève la Cour, l’une des circonstances de fait qui peut conduire au séjour irrégulier au sens de la directive retour et la directive est donc applicable à un ressortissant d’un pays non UE qui, tel Mme Affum, est entré irrégulièrement sur le territoire d’un État membre et qui, de ce fait, est considéré comme y séjournant de manière irrégulière et un tel ressortissant doit être soumis à la procédure de retour prévue par la directive en vue de son éloignement, et ce, tant que le séjour n’a pas été, le cas échéant, régularisé.

Pour la Cour, les exceptions prévues par la directiveSelon la directive, les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la directive aux ressortissants de pays non UE qui font l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen ou bien qui sont arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans cet État membre. ne permettent pas aux États membres de soustraire un ressortissant tel que Mme Affum du champ d’application de la directive au motif que ledit ressortissant a franchi irrégulièrement une frontière intérieure de l’espace Schengen, en l’occurrence la frontière franco-belge, ou qu’il a été arrêté lors de sa tentative de quitter cet espace, le Royaume-Uni ne faisant en effet pas partie de l’espace Schengen. Le fait que Mme Affum fasse l’objet d’une procédure de réadmission en Belgique ne rend pas la directive inapplicable à son cas dans la mesure où la réadmission a simplement pour effet de transférer l’obligation d’appliquer la procédure de retour à l’État membre chargé de reprendre le ressortissant. Emprisonner le ressortissant d’un pays non UE en séjour irrégulier retarderait le déclenchement de cette procédure et son éloignement effectif et « porterait ainsi atteinte à l’effet utile de la directive ».

La situation de simple transit de Mme Affum n’empêche pas l’application de la directive, insiste la Cour pour qui un ressortissant d’un pays non UE qui se trouve à bord d’un autobus sans remplir les conditions d’entrée est bien présent sur le territoire de l’État membre concerné et se trouve ainsi en « séjour irrégulier » au sens de la directive, celle-ci ne prévoyant pas de condition de durée minimale de présence ou d’intention de rester sur ce territoire. Et la directive étant applicable à Mme Affum, celle-ci ne pouvait pas être emprisonnée au seul motif de son entrée irrégulière sur le territoire français avant d’avoir été soumise à la procédure de retour. Or, les autorités françaises n’avaient même pas initié cette procédure, constate la Cour qui juge ainsi que, pour les mêmes raisons que celles exposées dans sa jurisprudence Achughbabian, les États membres ne sauraient permettre, du seul fait de l’entrée irrégulière conduisant au séjour irrégulier, l’emprisonnement des ressortissants de pays non UE pour lesquels la procédure de retour établie par la directive n’a pas encore été menée à son terme, un tel emprisonnement étant susceptible de faire échec à l’application de cette procédure et de retarder le retour et, ainsi, de porter atteinte à l’effet utile de la directive.

Mais la Cour prend le soin de préciser que cela n’exclut toutefois pas la faculté pour les États membres de réprimer d’une peine d’emprisonnement la commission d’autres délits que ceux tenant à la seule circonstance d’une entrée irrégulière, y compris dans des situations où la procédure de retour n’a pas encore été menée à son terme.