Dublin III : Le placement en rétention administrative est illégal faute de critères légaux objectifs définissant le risque de fuite

Cour de justice de l'Union européenne

​Il appartient « aux États membres de fixer, dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert », juge la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) qui précise, alors que la France n'en dispose toujours pas, qu'« en l’absence desdits critères dans une telle disposition (...) le placement en rétention doit être déclaré illégal ».

L'article 28§2 du règlement (UE) n° 604/2013 (Dublin III)Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, J.O.UE, 2013, L 180, p. 31., autorise, en cas de risque de fuite, le placement en rétention administrative des personnes faisant l'objet d'une procédure de transfert en direction d'un autre État membre en vue de l'examen d'une demande de protection internationale. L'article 2 sous n) du même règlement précise en outre que les raisons de craindre la fuite d'un demandeur doivent être fondées sur des « critères objectifs définis par la loi ».

A l'occasion d'un contrôle en République tchèque par la police des étrangers, trois ressortissants irakiens qui avaient préalablement déposé une demande de protection auprès de la Hongrie ont été placés, sur le fondement de l'article 28§2 et de la loi tchèque relative au séjour des étrangers, en rétention administrative dans l'attente de leur transfert vers la Hongrie, leurs auditions ayant révélé selon la police un risque de fuite.  

Saisie par un recours se prévalant de l'article 2 sous n) introduit par ces ressortissants, la Cour régionale (Krajský soud v Ústí nad Labem), annule la décision de leur placement en rétention, jugeant que la loi tchèque n'avait en effet pas défini les critères objectifs permettant de fonder les raisons de craindre une fuite.

Estimant que l'absence de ces critères dans la loi nationale ne saurait justifier l'inapplicabilité de la rétention permise par l'article 28§2 dès lors qu'elle en avait respecté les conditions d'application, la police des étrangers a alors formé un pourvoi devant la Cour administrative suprême (Nejvyšší správní soud).

Cette dernière, incertaine quant au fait de savoir si les critères objectifs définis par sa jurisprudence établie et sa pratique administrative constante répondent à l'exigence d'une définition « par la loi », demande à la CJUE si les articles 28§2 et 2 sous n) du règlement Dublin III imposent aux États membres de fixer ces critères dans la législation nationale et si leur absence entraîne l’illégalité de la rétention.

La CJUECJUE, 15 mars 2017, n° C‑528/15, Policie ČR c/ Al Chodor. note tout d'abord que si les règlements sont d'effet direct, la notion de fuite de l'article 28§2 nécessite bien une définition en droit interne, se référant pour cela aux renvois explicites au droit national du considérant 20 du règlement Dublin III et de l'article 8§3 dernier alinéa de la directive 2013/33/UEDirective 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection international, dite directive « Accueil ».,

S'agissant ensuite de savoir si le terme « loi » peut s'entendre d'une jurisprudence établie sanctionnant une pratique administrative constante, la CJUE rappelleCJUE, 26 mai 2016,  C-550/14, Envirotec Denmark, EU:C:2016:354, point 27. que la portée d'une disposition ne s'apprécie pas seulement textuellement mais aussi « en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ».

A cet égard, la CJUE remarque que le règlement Dublin III s'inscrit dans une économie de « haute protection du demandeur », manifestée par la protection juridictionnelle qui lui est accordée, aussi bien que par l'attention particulière que le règlement accorde à l'encadrement stricte de la rétention dont le placement doit être exécuté de façon proportionnelle, individuelle et circonstanciée et s'il n'existe pas de mesures moins coercitives applicables.

La CJUE relève enfin que le placement en rétention constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté des demandeurs de protection et qu'aux termes des articles 6 et 52§1de la Charte des droits fondamentaux et de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme dont relève une telle limitation, il ne saurait intervenir sans les strictes garanties d'une base légale claire, prévisible, accessible et protégeant de l'arbitraire.

Or, si l'article 28§2 constitue une base légale suffisante au regard de la CJUE, elle estime cependant que « seule une disposition de droit interne contraignante et de portée générale saurait répondre aux exigences de clarté, de prévisibilité, d’accessibilité et, en particulier, de protection contre l’arbitraire », qu'appelle une telle économie de protection et un tel objectif de garanties des libertés, ce qui ne saurait en revanche être le cas d' « une jurisprudence établie sanctionnant une pratique administrative constante ». 

Ainsi, en l'absence d'une telle norme de droit interne définissant les critères objectifs sur lesquels se fondent les raisons de craindre une fuite, la CJUE juge l'article 28§2 inapplicable et le placement en rétention sur son fondement illégal.

Cette décision intervient alors que la France n'a toujours pas défini légalement ces critères objectifs, ceux-ci étant pour l'heure essentiellement pris en charge par la jurisprudenceVoir en ce sens : CE, 20 févr. 2017,  n° 4208119, inédit au recueil Lebon ; 12 mai 2011, n° 348774, inédit au recueil Lebon. du Conseil d’État. Dans ces conditions, cette interprétation semble devoir faire obstacle au placement en rétention des demandeurs de protection qui font l'objet d'une procédure de transfert en direction d'un autre État membre sur le territoire français.