Immigration : La Cour de Luxembourg met un terme au « tourisme social »

Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg
Cour de justice de l'Union européenne, Luxembourg.

Les citoyens économiquement inactifs qui se rendent dans un autre État membre de l'Union européenne dans le seul but de bénéficier de l’aide sociale peuvent être exclus de certaines prestations sociales, a jugé la Cour de justice de l'UE à l'occasion d'une question préjudicielle posée par une juridiction allemande.

Les étrangers qui entrent sur le territoire allemand pour obtenir l’aide sociale ou dont le droit de séjour découle du seul objectif de la recherche d’un emploi sont exclus des prestations de l’assurance de base, « Grundsicherung », lesquelles visent notamment à assurer la subsistance des bénéficiaires.

Au cas particulier, le tribunal social de Leipzig, dans le Land de Saxe, est saisi d’un litige opposant deux ressortissants roumains, Elisabeta Dano et son fils Florin, au Jobcenter de Leipzig qui leur a refusé les prestations de l’assurance de baseIl s’agit de la prestation de subsistance, « existenzsichernde Regelleistung » pour Mme Dano et l’allocation sociale, « Sozialgeld » pour son fils ainsi que la participation aux frais d’hébergement et de chauffage.. Mme Dano, qui n'est pas à la recherche d'une emploi et qui n’est pas entrée en Allemagne pour y chercher un emploi, sollicite les prestations de l’assurance de base réservées aux demandeurs d’emploi. Elle n’a aucune qualification professionnelle particulière et n’a jusqu'à présent exercé aucune activité professionnelle, que ce soit en Allemagne ou en Roumanie. Elle et son fils vivent depuis novembre 2010 en Allemagne et ils habitent chez une sœur et tante qui pourvoit à leur alimentation. Mme Dano touche, pour son fils, des prestations d’un montant de 184 euros et une avance sur pension alimentaire d’un montant de 133 euros par mois qui ne font l'objet d'aucune contestation.

La Cour de justice de l'UnionCJUE, 11 nov. 2014, n° C-333/13, Elisabeta et Florin Dano c/ Jobcenter Leipzig. considère que pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales telles que, par exemple, les prestations allemandes de l’assurance de base, les ressortissants d’autres États membres ne peuvent invoquer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil que si leur séjour respecte les conditions de la directive « citoyen de l’Union »Directive n° 2004/38/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, J.O.UE, L 158, p. 77. laquelle n'oblige pas d’accorder une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour.

Lorsque la durée du séjour est supérieure à trois mois mais inférieure à cinq ans, ce qui est le cas en l'espèce, la directive conditionne le droit de séjour au fait notamment que les personnes économiquement inactives doivent disposer« de ressources propres suffisantes » pour empêcher que les citoyens de l’Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l’État membre d’accueil pour financer leurs moyens d’existence.

Un État membre a donc la possibilité, juge la Cour, « de refuser l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but de bénéficier de l’aide sociale d’un autre État membre alors même qu’ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre à un droit de séjour », chaque cas individuel devant être examiné « sans prendre en compte les prestations sociales demandées ».

Pour la Cour, la directive « citoyen de l’Union » et le règlement sur la coordination des systèmes de sécurité socialeRèglement (CE) n° 883/2004, du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le règlement n° 1244/2010 de la Commission du 9 décembre 2010, J.O.UE, L 338, p. 35. ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui exclut les ressortissants d’autres États membres du bénéfice de certaines « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » alors qu’elles sont assurées aux ressortissants nationaux qui se trouvent dans la même situation, dans la mesure où ces ressortissants d’autres États membres ne bénéficient pas d’un droit de séjour en vertu de la directive dans l’État membre d’accueil.

En ce qui concerne Mme Dano et son fils, la Cour observe qu’ils ne disposent pas de ressources suffisantes, si bien qu’ils ne peuvent réclamer un droit de séjour en Allemagne en vertu de la directive « citoyen de l’Union » et ne peuvent pas se prévaloir du principe de non-discrimination consacré par la directive et par le règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

 

Au Royaume-Uni, confronté à la poussée de la formation europhobe UKIP (United Kingdom Independence Party), le premier ministre David Cameron avait annoncé qu'il souhaitait limiter l'immigration en provenance des autres pays de l'UE, au mépris de ce principe de libre circulation des personnes, provoquant le courroux de la chancelière allemande Angela Merkel et des milieux d'affaires britanniques. M. Cameron a donc rapidement salué cette décision qui relève, selon lui, du « bon sens »« Je soutiens [cette] décision [...] qui freinera le tourisme social », a-t-il écrit sur son compte Twitter.

 

La commission européenne a, elle aussi, salué cette décision. « La Commission européenne a toujours estimé que le principe de libre circulation signifie le droit de se déplacer », a réagi une porte-parole. « Ce n'est pas le droit d'avoir accès librement aux prestations sociales d'un pays membre, et la décision de la cour a confirmé ceci », a-t-elle ajouté.