Lenteur de la justice : La juridiction européenne s’auto-condamne

Le tribunal de l’Union européenne (TUE) s’est auto-condamné à payer 57 000 euros de dommages-intérêts à la société Gascogne en réparation du préjudice résultant de la durée excessive d’une procédure qui avait duré près de 8 ans et à la suite de laquelle la Cour de justice (CJUE) avait ouvert la porte à une possible indemnisation de ce chef.

C’est le 23 février 2006 que la société Gascogne (ex-Groupe Gascogne) et sa filiale allemande, Gascogne Sack Deutschland, avait saisi le TUE d’une requête en annulation d’une décision de la Commission européenne du 30 novembre 2005 concernant une entente en matière de sacs industriels et les recours rejetés le 16 novembre 2011, la CJUE avait été saisi d’un pourvoi qui, deux ans plus tard, le 26 novembre 2013, maintient à la charge des deux sociétés les 13,2 millions d’euros d’amendes infligées par la Commission mais relève que les deux sociétés peuvent fort bien « introduire des recours en indemnité visant à réparer les préjudices éventuels causés par la durée excessive de la procédure devant le Tribunal ».

Ni une ni deux, c’est ce que font les deux Gascogne et s’en vont réclamer au TUE une condamnation de l’Union européenne à leur payer 3,5 millions d’euros en réparation de leur préjudice matériel et 500 000 euros au titre de leur préjudice immatériel.

Dans une décision rendue mardi, le tribunalTUE, 10 janv. 2017, n° T-577/14, sociétés Gascogne et Gascogne Sack Deutschland c/ Union européenne. accueille les demandes à hauteur de 47 064,33 euros au titre du préjudice matériel et 5 000 euros à chacune des deux sociétés au titre du préjudice immatériel, après avoir rappelé que la responsabilité non contractuelle de l’Union peut être mise en cause lorsque trois conditions cumulatives sont réunies : l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué.

Pour ce qui est de la première condition, le tribunal estime que le droit « de voir juger une affaire dans un délai raisonnable », qui découle de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, n’a pas été respecté en l’espèce du fait que la procédure a duré 5  ans et 9 mois sans que cela puisse être justifié par « aucune des circonstances propres à ces affaires » malgré leur « degré de complexité factuelle, juridique et procédurale ».

Quant à la deuxième condition, le tribunal retient « le préjudice matériel réel et certain » subi par Gascogne au titre des frais payés pour un montant de 47 064,33 euros pour la garantie bancaire constituée au profit de la Commission pendant toute la durée de la procédure. Ce montant correspond, explique le tribunal, au montant que Gascogne « n’aurait pas dû s’acquitter [au titre] de la garantie bancaire » si le délai raisonnable n’avait pas été dépassé de… 20 mois et c’est ce que la société obtient au titre du préjudice matériel.

Et quant au préjudice immatériel, le tribunal juge « approprié » d’accorder à chacune des deux sociétés une indemnité de 5 000 euros compte tenu que « la méconnaissance du délai raisonnable dans ces affaires a été de nature à plonger les deux sociétés dans une situation d’incertitude qui a dépassé l’incertitude habituellement provoquée par une procédure juridictionnelle ».

Il s’agit d’une première en la matière devant la juridiction européenne mais quatre autres affaires similaires pour durée excessive de la procédure (Aalberts Industries, Kendrion, Aspla et Armando Alvarez et Guardian Europe) attendent d’être jugées.