Liberté de la presse : La divulgation d’une rumeur qualifiée d’information privilégiée

La rumeur promue au rang d'information privilégiée
La rumeur promue au rang d'information privilégiée

La divulgation par un journaliste d’une information privilégiée portant sur la publication prochaine d’un article relayant des rumeurs concernant des sociétés cotées en bourse est licite lorsqu’elle est nécessaire pour mener à bien une activité de journalisme et respecte le principe de proportionnalité, estime la Cour de justice de l’Union européenne à l’occasion d’une question préjudicielle soumise par la cour d’appel de Paris.

Un journaliste chevronné britannique,  Geoff Foster, avait publié, dans la soirée des 8 juin 2011 et 12 juin 2012, sur MailOnline, un site commun au Daily Mail et au Mail on Sunday, deux articles relayant des rumeurs de dépôt d’offres publiques d’achat (OPA) sur les titres de Hermès et de Maurel & Prom respectivement. Les prix indiqués dépassaient largement les cours de clôture sur Euronext et cela a fait augmenter considérablement leurs cours le lendemain.

Peu avant la publication de ces articles, des ordres d’achat ont été passés sur les titres en question par certains résidents britanniques, qui les ont vendus une fois cette publication intervenue. Le journaliste s’est vu infliger une sanction pécuniaire d’un montant de 40 000 euros par l’Autorité des marchés financiers française (AMF) au motif qu’il avait fait part de la publication prochaine de ses articles à ces résidents britanniques et leur aurait ainsi communiqué une information qualifiée de « privilégiée ».

Saisie d’un recours en annulation de cette décision qui remonte au 24 octobre 2018, la cour d’appel de Paris interroge la Cour de justice à titre préjudiciel sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union concernant les opérations d’initiés. Elle souhaite, d’une part, savoir si une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché peut être considérée comme une information privilégiée, relevant de l’interdiction de divulguer de telles informations et, d’autre part, quid des exceptions à cette interdiction dans le contexte particulier de l’activité journalistique.

Pour la CourCJUE, 15 mars 2022, n° C-302/70, Geoff Foster c/ Autorité des marchés financiers., une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instruments financiers est susceptible de constituer une information « à caractère précis » et, donc, de relever de la notion d’« information privilégiée », lorsqu’elle fait notamment mention du prix auquel seraient achetés les titres, du nom du journaliste ayant signé l’article ainsi que de l’organe de presse en assurant la publication.

La communication d’informations privilégiées à des fins journalistiques peut toutefois être justifiée, tempère la Cour, en vertu du droit de l’Union, au titre de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Les fins journalistiques pouvant englober des travaux d’investigation préparatoires à la publication réalisés par un journaliste pour vérifier la véracité des rumeurs.

Mais, poursuit la Cour, la divulgation d’une information privilégiée par un journaliste n’est licite que lorsqu’elle est « considérée comme nécessaire à l’exercice de sa profession et comme respectant le principe de proportionnalité » et d’expliquer à la cour d’appel de Paris qu’il lui appartient d’examiner, en l'espèce, l’affaire en répondant aux questions suivantes : « était-il nécessaire pour le journaliste qui cherche à vérifier la véracité d’une rumeur de marché de divulguer à un tiers, outre la teneur de cette rumeur, le fait qu’un article relayant cette rumeur serait publié prochainement ? » Et « est-ce qu’une éventuelle restriction à la liberté de la presse que l’interdiction d’une telle divulgation engendrerait serait excessive, compte tenu de son effet potentiellement dissuasif pour l’exercice de l’activité journalistique ainsi que des règles et des codes auxquels les journalistes sont soumis, par rapport au préjudice qu’une telle divulgation risque de porter non seulement aux intérêts privés de certains investisseurs mais aussi à l’intégrité des marchés financiers ? » Réponse dans quelques mois.