Prestations sociales : Le bénéficiaire doit pouvoir justifier d'un droit de séjour

Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg
Cour de justice de l'Union européenne, Luxembourg.

Le Royaume-Uni peut exiger que les bénéficiaires des allocations familiales et du crédit d’impôt pour enfant disposent d’un droit de séjour, a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, si cette condition est justifiée « par la nécessité de protéger les finances [du pays] ».

Le règlement sur la coordination des systèmes de sécurité socialeRèglement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, J.O.UE, L 166 p. 1. fixe une série de principes communs que doivent respecter les législations des États membres pour que les différents systèmes nationaux ne désavantagent pas les personnes qui font usage de leur droit de libre circulation et de séjour au sein de l’Union. L’un des principes communs que les États membres doivent respecter est le principe d’égalité qui se traduit par l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité.

Ayant reçu plusieurs plaintes de citoyens de l’Union non britanniques résidant au Royaume-Uni qui dénonçaient le refus des autorités britanniques compétentes de leur accorder le bénéfice de certaines prestations sociales au motif qu’ils ne jouissaient pas d’un droit de séjour dans ce pays, la Commission avait formé un recours en manquement en relevant que la législation britannique impose de vérifier que les demandeurs de certaines prestations sociales (notamment les allocations familiales et le crédit d’impôt pour enfantLes allocations familiales (« child benefit ») et le crédit d’impôt pour enfant (« child tax credit ») sont des prestations en espèces financées par l’impôt et non par les cotisations des bénéficiaires. Elles ont pour objectif commun de contribuer à couvrir les charges de famille. Pour pouvoir bénéficier de ces prestations, le demandeur doit, selon la législation britannique, se trouver au Royaume-Uni. Cette condition n’est remplie que si le demandeur (a) se trouve physiquement au Royaume-Uni, (b) a sa résidence ordinaire au Royaume-Uni et (c) jouit du droit de séjour dans ce pays.) séjournent légalement sur le sol britannique.

Pour la Commission, cette condition était discriminatoire et contraire à l’esprit du règlement, dans la mesure où ce dernier prendrait uniquement en compte la résidence habituelle du demandeur. Invoquant l’arrêt BreyCJUE, 19 sept. 2013, n° C-140/12, Brey., le Royaume-Uni soutinait que l’État d’accueil peut légitimement exiger que les prestations sociales ne soient octroyées qu’aux citoyens de l’Union qui remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour sur son sol, ces conditions étant, pour l’essentiel, prévues dans une directive de l’UnionDirective 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, J.O.UE, L 158, p. 77.. Bien qu'admettant que les conditions d’ouverture du droit aux prestations sociales en cause sont remplies plus facilement par ses propres ressortissants, la condition relative au droit de séjour est une mesure proportionnée visant à garantir que les prestations sont versées à des personnes suffisamment intégrées au Royaume-Uni.

Pour rejeter le recours de la Commission, la CourCJUE, 14 juin 2016, n° C-308/14, Commission c/ Royaume-Uni. rappelle que le critère de la résidence habituelle, au sens du règlement, n’est pas une condition nécessaire pour pouvoir bénéficier de prestations, mais une « règle de conflit » qui a pour but d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et d’empêcher que les personnes qui ont exercé leur droit de libre circulation soient privées de protection. Le règlement n’organise pas, souligne la Cour, un régime commun de sécurité sociale mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et il ne détermine ainsi pas les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations car il appartient, en principe, à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions.

C'est ainsi que la Cour relève que rien ne s’oppose à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil. Quant à l’argument subsidiaire de la Commission selon lequel le contrôle du droit de séjour constitue une discrimination, la Cour juge que la condition du droit de séjour au Royaume-Uni crée une inégalité puisque les ressortissants nationaux peuvent la remplir plus aisément que les ressortissants des autres États membres mais « cette différence de traitement peut être justifiée par un objectif légitime tel que la nécessité de protéger les finances de l’État membre d’accueil, à condition qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ».

À cet égard, la Cour constate que les autorités nationales procèdent à la vérification de la régularité du séjour conformément aux conditions énoncées dans la directive sur la libre circulation des citoyens et ce contrôle n’est pas effectué systématiquement par les autorités britanniques pour chaque demande, mais seulement en cas de doute. Il en résulte, conclut la Cour, que la condition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi par le Royaume-Uni, à savoir la nécessité de protéger ses finances.