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Transports : La vignette allemande est contraire au droit de l’Union

Par Nicolas de Will | LEXTIMES.FR |
Cour de justice de l'Union européenne Cour de justice de l'Union européenne

La vignette allemande pour l’utilisation des routes fédérales par les véhicules automobiles particuliers est contraire au droit de l’Union, a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, pour être « discriminatoire étant donné que sa charge économique repose, en pratique, sur les seuls propriétaires et conducteurs de véhicules immatriculés dans d’autres États membres ».

L’Allemagne a mis en place, depuis 2015, le cadre juridique pour l’introduction d’une redevance pour l’utilisation par les véhicules automobiles particuliers des routes fédérales, y compris les autoroutes, la « redevance d’utilisation des infrastructures » qui devrait permettre de passer partiellement d’un système de financement par l’impôt à un système de financement fondé sur les principes de l’ « utilisateur-payeur » et du « pollueur-payeur », les recettes étant entièrement affectées au financement des infrastructures routières et son montant calculé d’après la cylindrée, le moyen de propulsion et la classe d’émission du véhicule.

Tout propriétaire d’un véhicule immatriculé en Allemagne devra s’acquitter de la redevance, sous la forme d’une vignette annuelle, d’un montant maximal de 130 euros et pour ce qui est des véhicules immatriculés à l’étranger, la redevance ne devra être payée qu’en cas d’utilisation des autoroutes moyennant une vignette de dix jours (entre 2,50 et 25 €), de deux mois (entre 7 et 50 €) ou d’un an (130 € maximum), étant précisé que l’Allemagne a prévu que les propriétaires des véhicules immatriculés en Allemagne bénéficieront d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance qu’ils ont dû verser.

Et c’est là où le bât blesse et que l’Autriche considère que l’effet combiné de « la redevance d’utilisation des infrastructures et de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles pour les véhicules immatriculés en Allemagne ainsi que les modalités d’aménagement et d’application de la redevance d’utilisation des infrastructures » sont contraires au droit de l’Union et notamment à l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité. Après avoir saisi pour avis la Commission qui ne s’est pas prononcée dans les délais, l’Autriche a introduit ce recours en manquement contre l’Allemagne — fait extrêmement rare qu’un État introduise un recours en manquement contre un autre État membre, il s’agit du septième recours sur un total de huit dans l’histoire de la Cour1 . Dans cette procédure, l’Autriche est soutenue par les Pays-Bas et l’Allemagne par le Danemark.

La Cour2 relève que la redevance litigieuse, combinée avec l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles dont profitent les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, constitue effectivement « une discrimination indirecte en raison de la nationalité » et « une violation des principes de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services », l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles au profit des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne ayant pour effet de compenser intégralement la redevance d’utilisation des infrastructures acquittée par ces derniers, si bien que la charge économique de ladite redevance « pèse, de fait, sur les seuls propriétaires et conducteurs de véhicules immatriculés dans d’autres États membres ».

S’il est possible aux États membres de modifier le système de financement de leurs infrastructures routières en substituant à un système de financement par l’impôt un système de financement par l’ensemble des utilisateurs — y compris les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans d’autres États membres faisant usage de ces infrastructures —, c’est à la condition qu’une telle modification respecte le droit de l’Union et notamment le principe de non-discrimination, ce qui, pour la Cour, n’est pas le cas ici et écarte l’argumentation de l’Allemagne selon laquelle l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles au profit des propriétaires de véhicules immatriculés dans cet État membre reflète « le passage à un système de financement des infrastructures routières par l’ensemble des utilisateurs, en application des principes de l’ "utilisateur-payeur" et du "pollueur-payeur" » alors qu’il n’ait apporté aucune précision quant à l’étendue de la contribution de l’impôt au financement des infrastructures fédérales et qu’il n’est pas établi que la compensation accordée aux propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, sous la forme d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles, à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance d’utilisation des infrastructures qu’ils ont dû verser, n’excède pas ladite contribution et présente ainsi un caractère adéquat.

S’agissant des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la redevance d’utilisation des infrastructures est due annuellement sans qu’il soit possible d’opter pour une vignette de plus courte durée si celle-ci répond mieux à sa fréquence d’utilisation desdites routes et si on ajoute son exonération à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui payé au titre de cette redevance, cela démontre que « le passage à un système de financement fondé sur les principes de l’ "utilisateur-payeur" et du "pollueur-payeur" vise exclusivement les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans d’autres États membres » alors que le principe d’un financement par l’impôt demeure d’application pour les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne. L’Allemagne n’a pas établi non plus, selon la Cour, en quoi la discrimination constatée pourrait être justifiée par des considérations environnementales ou autres.

Du point de la libre circulation des marchandises, la Cour relève que les mesures litigieuses sont susceptibles « d’entraver l’accès au marché allemand des produits en provenance d’autres États membres » puisque la redevance d’utilisation des infrastructures à laquelle sont, de fait, soumis uniquement les véhicules qui transportent ces produits est « susceptible d’augmenter les coûts de transport et, par voie de conséquence, le prix desdits produits, affectant ainsi leur compétitivité ». Et s’agissant de la libre prestation de services, elle constate que les mesures litigieuses sont « susceptibles d’entraver l’accès des prestataires et des destinataires de services provenant d’un autre État membre au marché allemand » puisque la redevance d’utilisation d’infrastructures est « susceptible, du fait de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles, soit d’augmenter le coût de services fournis en Allemagne par ces prestataires, soit d’augmenter le coût que représente pour ces destinataires le fait de se rendre dans cet État membre pour y bénéficier d’un service ».

Mais contrairement à ce que soutenait l’Autriche, la Cour ne considère pas comme discriminatoire les modalités de l’aménagement et de l’application de la redevance d’utilisation des infrastructures qui ne sont que des contrôles aléatoires, de l’éventuelle interdiction de la poursuite du trajet au moyen du véhicule concerné, du recouvrement a posteriori de la redevance d’utilisation des infrastructures, d’une éventuelle d’une amende ou du versement d’une caution.

 

  • 1La huitième affaire, Slovénie c/ Croatie, est également pendante, n° C-457/18.
  • 2CJUE, 18 juin 2019, n° C-591/17, Autriche c/ Allemagne.

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