Travail : L'obésité morbide peut relever de la notion de handicap

L'obésité sévère peut être considérée comme un handicap si elle rend difficile la vie professionnelle de la personne qui en souffre, et être invoquée contre un traitement jugé discriminatoire, a jugé jeudi la Cour de justice de l'Union européenne.
La Cour avait été saisie par la justice danoise sur le cas d'un assistant maternel estimant avoir été licencié parce qu'il était considéré comme obèse avec un poids supérieur à 160 kg et un indice de masse corporelle (IMC) de 54. Cet employé, Karsten Kaltoft, avait saisi la justice pour obtenir des dommages et intérêts de la municipalité qui l'employait, considérant qu'il avait été victime d'une discrimination illégale fondée sur son obésité.
La tribunal de Kolding (retten i Kolding), au Danemark, a saisi la Cour de justice de l'UE d'une question préjudicielle quant aux discriminations fondées sur l'obésité et si cette dernière pouvait être considérée comme un handicap. La Cour
Or l'obésité peut « relever de la notion de handicap », juge la Cour, si « dans des circonstances données, l'état d'obésité du travailleur entraîne une limitation » qui « peut faire obstacle à la pleine et effective participation de cette personne à la vie professionnelle sur la base de l'égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée ».
« Tel serait notamment le cas si l'obésité du travailleur » entraîne « une mobilité réduite ou la survenance de pathologies l'empêchant d'accomplir son travail ou entraînant une gêne dans l'exercice de l'activité professionnelle », précise la Cour. Elle renvoie à la juridiction du pays pour déterminer si l'obésité du plaignant relève de cette définition de « handicap ».
Du côté du Défenseur des droits, qui peut être saisi par toute personne qui s'estime victime de discrimination, on souligne que les normes européennes s'appliquent à la France, donc que cette décision s'appliquera. Mais, explique l'autorité, « pour nous ce n'est peut-être pas aussi symbolique que dans d'autres pays puisque nous avons 21 critères qui sont éligibles au titre de la discrimination et il y a à la fois le handicap, l'apparence physique et l'état de santé ». En clair, les personnes obèses sont déjà protégées des discriminations.
Me Eric Rocheblave, avocat en droit social dit « que l'obésité soit handicapante ou pas, on ne peut pas licencier quelqu'un pour ce motif ».« C'est la théorie, mais dans la pratique, ça ne se passe pas comme ça », affirme de son côté Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d'obèses (CNAO). C'est évident qu'il y a de la discrimination que ce soit à l'embauche ou après : "vous ne décollez pas de la case où on vous a mis". L'obésité est aussi un motif de licenciement, « même si ce n'est pas dit comme ça ». Cette décision européenne, « je ne sais pas si c'est une bonne chose, j'ai un peu peur que ça freine les embauches, le paradoxe est là », dit-elle.
Sylvie Benkemoun, vice-présidente de l'association Gros (Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids), souligne de son côté que cela « peut aider des personnes qui sont en grande difficulté, mais le risque c'est, dans un climat de stigmatisation et de discrimination, que ce soit la porte ouverte au refus d'une personne obèse en disant qu'elle est handicapée ». Selon l'OMS, le nombre de cas d'obésité a doublé depuis 1980. Le surpoids concerne 1,4 milliard de personnes de 20 ans et plus, parmi lesquelles plus de 200 millions d'hommes et près 300 millions de femmes sont obèses.