TVA : Toutes les prestations fournies par les avocats relèvent du taux normal

Cour de justice de l'Union européenne.
Cour de justice de l'Union européenne.

La directive doit être interprétée en ce sens que les prestations effectuées par les avocats ne sont pas exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et celles fournies au titre de l’aide juridictionnelle ne peuvent bénéficier du taux réduit, a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne a l’occasion d’une question préjudicielle soumise par la Cour constitutionnelle belge.

Jusqu’à la fin 2013, les prestations de services exécutées par les avocats exerçant en Belgique étaient exonérées de TVA en vertu d’une disposition transitoire remontant à la sixième directive TVASixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, J.O.UE, L 145, p. 1. qui, à l’origine, était censée s’appliquer pendant cinq ans, à compter du 1er janvier 1978, mais qui figure toujours à l’article 371 de l’actuelle directive TVADirective 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, J.O.UE, L 347, p. 1 selon lequel « les États membres qui, au 1er janvier 1978, exonéraient les opérations dont la liste figure à l’annexe X, partie B, peuvent continuer à les exonérer, dans les conditions qui existaient dans chaque État membre concerné à cette même date ».

Il a été mis un terme à cette exonération par l’article 60 d’une loi du 30 juillet 2013Loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses, Moniteur belge, 1er août 2013, p. 48270 et les prestations des avocats sont donc taxées, depuis le 1er janvier 2014, au taux normal de 21 pour cent qui prévaut en Belgique. Saisie de plusieurs recours visant à l’annulation de cet article 60, la Cour constitutionnelle belge a interrogé la juridiction européenne quant à la compatibilité de la directive notamment avec, d’une part, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne combiné avec l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et, d’autre part, l’article 9 de la convention d’Aarhus quant au droit à un procès équitable et l’accès à la justice à un coût raisonnable respectivement ? Et quid des prestations fournies dans le cadre de l’aide juridictionnelle ?

La CourCJUE, 4e ch., 28 juill. 2016, n° C-543/14, Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique et a., Jimmy Tessens et a., Orde van Vlaamse Balies, Ordre des avocats du barreau d’Arlon et a. c/ Conseil des ministres belge et l’intervention de l’ASBL Association syndicale des magistrats et le Conseil des barreaux européens. rappelle liminairement sa jurisprudence constante selon laquelle tant que l’Union européenne n’aura pas adhéré à la CEDH, cette dernière ne constitue pas « un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union »CJUE, 26 févr. 2013, n° C-617/10, Akerberg Fransson, §44 ; 3 sept. 2015, n° 398/13, Inuit Tapiriit Kanatami et a. c/ Commission, §45 ; 15 févr. 2016, n° C-601/15, N., §45, de même pour le PIDCP et la validité de la directive 2006/112 est dès lors examinée, précise la Cour, au regard « uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte » et relevant que la question se limite « au coût spécifique qui résulte de l’assujettissement des prestations de services des avocats à la TVA au taux de 21 % et ne vise pas l’ensemble des coûts afférents à la procédure judiciaire ».

Telle que posée, la Cour considère que la question ne concerne que les justiciables ne bénéficiant pas de l’aide juridictionnelle dans la mesure où les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle « ne sont pas affectés par une éventuelle augmentation des frais d’avocats pouvant résulter de l’assujettissement à la TVA des prestations de services des avocats […] prises en charge par l’État belge ».

Ainsi circonscrite, la question soulève la compatibilité de cette charge de 21 % au regard du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte ainsi qu’avec le principe de l’égalité des armes dès lors que les justiciables seraient traités différemment selon qu’ils ont ou non la qualité d’assujetti à la TVA.

Le droit à un recours effectif n’implique pas que les prestations des avocats soient exonérées de TVA

L’article 47 de la Charte, rappelle la Cour, consacre le droit à un recours effectif, y compris, la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat et l’octroi, le cas échéant, d’une aide juridictionnelle aux justiciables ne disposant pas de ressources suffisantes qui ne sont pas concernés par cette question mais s’agissant des seules personnes disposant de ressources suffisantes, cet article 47 ne garantit pas, constate la Cour, « un droit à ce que les prestations de services des avocats soient exonérées de la TVA » et cette TVA ne peut être mise en cause, selon sa jurisprudence rendue dans plusieurs domaines autres que le droit de la TVA, au regard du droit à un recours effectif que ce si coût a un caractère insurmontableCJUE, 22 déc. 2010, n° C-279/09, DEB, §61 ; 13 juin 2012, n° C-156/12, GREP, § 46. ou s’il rend l’exercice des droits conférés pratiquement impossible ou excessivement difficileCJUE, 6 oct. 2015, n° C-61/14, Orizzonte Salute, §48, 49 et 58..

En l’espèce, si, certes, l’assujettissement à la TVA des prestations des avocats renchérit a priori leur coût de 21 %, cela n’implique pas une augmentation d’autant de leurs charges mais plutôt une réduction de leurs charges par le simple exercice du droit à déduction de la TVA grevant leurs acquisitions de biens et services dans le cadre de leur activité professionnelle.

Pour la Cour, on comprend parfaitement, entre les lignes, qu’une ancienne prestation de 100 euros exonérée ne passe automatiquement à 121 euros mais plutôt à un prix compris entre 110 et 115 euros en tenant compte du gain lié au bénéfice du droit à déduction et, au surplus, en Belgique comme dans la plupart des pays de l’Union, les honoraires sont librement négociés et il y a une concurrence entre les avocats qui les amène « à prendre en compte la situation économique de leurs clients » et « à respecter les limites résultant de l’exigence de juste modération ».

Il n’y a donc, selon la Cour, « aucune corrélation stricte, voire mécanique, […] entre l’assujettissement à la TVA des prestations de services des avocats et une augmentation du prix de ces services » et le montant de TVA — qui n’est pas la fraction la plus importante des coûts afférents à une procédure judiciaire — ne constitue donc pas « un obstacle insurmontable à l’accès à la justice ou qu’il rend l’exercice des droits conférés […] pratiquement impossible ou excessivement difficile ». Et si dans tel ou tel cas particulier cela peut constituer un obstacle, il convient d’en tenir compte « par un aménagement approprié du droit à l’aide juridictionnelle », conclut la Cour qui juge que « la protection conférée par le droit à un recours effectif ne s’étend pas à l’assujettissement des prestations des avocats à la TVA ».

Le CJUE suggère aux avocats de facturer des honoraires moins élevés aux clients non assujettis à la TVA

Des barreaux et des justiciable belges soutenaient que l’assujettissement des prestations de services des avocats à la TVA au taux de 21 % désavantage les justiciables non assujettis par rapport à ceux ayant la qualité d’assujettis dans la mesure où ceux-ci, à la différence de ceux-là, bénéficient du droit à déduction et ne supportent donc pas la charge financière résultant de cette application de la TVA.

À l’instar du droit à un recours effectif, la Cour évoque sa propre jurisprudence pour rappeler ce qu’est ce principe d’égalité des armes qui a pour but « d’assurer l’équilibre procédural entre parties à une procédure judiciaire » quant à leurs droits et obligations (règles régissant l’administration des preuves, débat contradictoire devant le juge et droit de recours des parties) mais n’implique nullement, comme le soutenait le gouvernement belge, l’obligation de mettre les parties « sur un pied d’égalité s’agissant des coûts financiers supportés dans le cadre de la procédure judiciaire ».

L’avantage pécuniaire que sont susceptibles de conférer l’assujettissement et le droit à déduction au justiciable assujetti par rapport à celui qui n’est pas assujetti n’affecte pas, juge la Cour, « l’équilibre procédural des parties » puisqu’il s’agit de justiciables ayant « des ressources suffisantes » pouvant négocier les honoraires réclamés par les avocats et que ces derniers peuvent prendre en compte « la situation économique de leurs clients et à demander à leurs clients non assujettis des honoraires, incluant la TVA, moins élevés que ceux qu’ils demandent à leurs clients assujettis ».

Quant à la convention d’Aarhus, elle ne contient « aucune obligation inconditionnelle et suffisamment précise susceptible de régir directement la situation juridique des particuliers » et elle est donc invoquée à tort, juge la Cour.

Pour ce qui est des prestations fournies au titre de l’aide juridictionnelle, elles ne peuvent ni être exonérées ni bénéficier du taux réduit de TVA qui est réservé aux organismes qui répondent à la double exigence d’avoir « eux-mêmes un caractère social et d’être engagées dans des œuvres d’aide et de sécurité sociales » et, en l'espèce, la catégorie professionnelle des avocats et avoués en sa généralité ne saurait être considérée comme présentant un caractère social, a déjà eu l’occasion de juger la CourCJUE, 17 juin 2010, n° C-492/08, Commission c/ France., ce qui a conduit la France à supprimer, à compter du 1er janvier 2014, le taux réduit de 5,5 % qu’elle appliquait en la matière jusqu’à cette date.