CHSCT : Les frais d’expertise à la charge de l’employeur jusqu'à la fin 2016

Les frais d’une expertise sollicitée par un comité d’hygiène et annulée par le juge judiciaire resteront à la charge de l’employeur jusqu’au 31 décembre 2016, a jugé la cour de cassation sur renvoi dans la foulée de la décision du conseil constitutionnel qui a laissé au législateur jusqu’au 1er janvier 2017 pour remédier à cette inconstitutionnalité.

En l’espèce, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’établissement de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) de la société Michelin avait décidé, le 18 décembre 2008, d’avoir recours à la mesure d’expertise prévue par l’article L. 4614-12 du code du travail et l’avait confiée à la société Intervention sociale et alternatives en santé au travail (ISAST).

Saisi en référé, un président du tribunal de grande instance a débouté, le 17 février 2009, l’employeur de sa contestation quant à la nécessité du recours à l’expertise critiquée et, le 1er juillet 2009, la cour d’appel a annulé la délibération du CHSCT et condamné l’employeur au paiement des frais irrépétibles et des dépens, « en l’absence d’abus du CHSCT ». La société ISAST a alors saisi le juge de l’urgence d’une demande de recouvrement de ses honoraires à l’encontre de l’employeur qui, sur renvoi après cassationSoc. 15 mai 2013, n° 11-24218, société Intervention sociale et alternatives en santé au travail (ISAST) c/ société Michelin, Bull. 2013, V, n° 125., a rejetéBourges, 23 janv. 2014, société Intervention sociale et alternatives en santé au travail (ISAST) c/ société Michelin. la demandé au motif qu’il appartenait à l’expert « d’attendre l’issue de la procédure de contestation de la délibération du CHSCT […] avant d’effectuer son expertise car il n’était tenu à aucun délai, ce qui est corroboré par le fait qu’il n’a pas réalisé son expertise, ni dans le délai d’un mois ni dans celui de 45 jours [et] son attention avait été attirée à plusieurs reprises par l’employeur sur le fait qu’en cas d’annulation de cette délibération, il ne serait pas réglé de ses prestations ».

L’article L. 4614-12 du code du travail permet en effet au CHSCT de faire appel à un expert « lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » et selon l’article L. 4614-13, les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur.

Mais quid de la prise en charge des frais d’expertise si, à la suite d’une contestation de la nécessité de l’expertise par l’employeur, la décision d’y recourir est annulée par le juge judiciaire, dans la mesure où le recours de l’employeur n’a pas un caractère suspensif, et que l’expertise faite en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail est réalisée dans le délai d’un mois en application de l’article R. 4614-18 du code du travail ?

Une solution consisterait à laisser ces frais d’expertise à la charge du CHSCT mais l’article L. 4614-13 précité met ces frais à la charge de l’employeur et, de surcroît, le CHSCT n’a pas de budget propre et ne peut donc s’en acquitter.

Il se fait qu’avant que la Cour de cassation ne statue sur ce second pourvoi dans la même affaire, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 4614-13 du code du travail et l’interprétation jurisprudentielle afférente a été transmise dans une autre affaire à la Cour de cassation qui l’a renvoyée au Conseil constitutionnel en estimant qu’elle présentait un caractère sérieux dans la mesure où « en l’absence de budget propre du CHSCT, qui a pour conséquence que les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur, y compris lorsque ce dernier obtient l’annulation de la délibération ayant décidé de recourir à l’expertise après que l’expert désigné a accompli sa mission, est susceptible de priver d’effet utile le recours de l’employeur ».

Les textes déclarés inconstitutionnels constituent le droit positif

Le Conseil constitutionnelCons. const., 27 nov. 2015, n° 2015-500 QPC, société Foot Locker France. a jugé que le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 4614-13 du code du travail sont contraires à la Constitution mais considérant que l’abrogation immédiate des dispositions inconstitutionnelles aurait pour effet de faire disparaître toute voie de droit permettant de contester une décision de recourir à un expert ainsi que toute règle relative à la prise en charge des frais d’expertise, il a laissé au législateur jusqu’au 1er janvier 2017 pour remédier à l’inconstitutionnalité constatée.

C’est dans ces circonstances que la chambre sociale de la Cour de cassationSoc. 15 mars 2016, n° 14-16242, société Intervention sociale et alternatives en santé au travail (ISAST) c/ société Michelin. a considéré que cette décision du Conseil constitutionnel constitue, certes, un élément de droit nouveau dans l’appréhension de la question qui lui est soumise par le pourvoi mais, étant inapplicable pour l’immédiat, les textes déclarés inconstitutionnels, tels qu’interprétés de façon constante par la Cour de cassation, constituent le droit positif applicable jusqu’à ce que le législateur remédie à l’inconstitutionnalité constatée, et au plus tard jusqu’au 1er janvier 2017.

La décision attaquée est donc censurée au motif que la cour d’appel « a méconnu la portée de l’article 62 de la Constitution et de l’article L. 4614-13 du code du travail ».