Discriminations : Le terme PD n'est pas un propos homophobe mais une injure

Conseil de prud'hommes de Paris.
Conseil de prud'hommes de Paris.

Le conseil de prud'hommes de Paris a jugé que le terme "PD" employé par la tenancière d'un salon de coiffure à l'encontre d'un salarié licencié pendant sa période d'essai ne peut être retenu comme propos homophobe car « il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes » mais lui a néanmoins alloué 5 000 euros pour le caractère injurieux dudit propos.

Le jugementCdPH Paris, sect. com., 26 déc. 2015, n° 14/14901, obs. Défenseur des droits Jacques Toubon (MLD-2015-195). remonte au mois de décembre dernier mais n'a été mis à disposition des parties, semble-t-il, qu'hier par le greffe de la juridiction.

Il s'agit en l'occurrence d'un jeune garçon, que nous nommerons Didier, qui a obtenu son brevet professionnel de coiffure en juin 2014 et qui a été embauché deux mois plus tard, le 11 septembre 2014, par un salon de coiffure que nous désignerons par TopHair, en qualité de coiffeur, par contrat à durée indéterminée assorti d’une période d’essai de deux mois. Souffrant, Didier s'est rendu, le 6 octobre 2014, chez son médecin traitant qui lui a prescrit une journée de repos supplémentaire et il a reçu ce même jour, par erreur, un SMS provenant de sa supérieure hiérarchique indiquant, selon un procès-verbal de constat rédigé par un huissier de justice :

« Je ne garde pas [Didier]. Je ne le sens pas ce mec. C’est un pd, ils font tous des coups de pute. »

Le lendemain, le 8 octobre 2014, à son retour, il n'évoque pas le SMS reçu la veille et s'entend aussitôt notifier oralement la rupture de sa période d'essai et il lui est remis un document faisant état de la rupture qui lui précise qu'il peut lui-même rompre sa période d'essai pour éviter d'avoir à effectuer le préavis de 2 jours imposé par l'employeur. Il quitte les lieux sur-le-champ et ne se représentera plus à son poste.

Saisi par le conseil du salarié, le Défenseur des droits Jacques Toubon a pris des observations développées lors de l'audience de jugement du 25 juillet 2015 selon lesquelles cette rupture « constitue une discrimination liée à l’orientation sexuelle et à l’état de santé » du salarié dans la mesure où l’employeur n'a pas fourni d’éléments permettant de justifier les éléments objectifs retenus pour procéder à la rupture de la période d'essai.

Dans sa décision rendue le 16 décembre 2015, la section commerce du conseil des prud’hommes de Paris n'a pas suivi l'argumentation soutenue par le Défenseur des droits et a, en revanche, estimé que : 

« En se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, [...] le terme de "PD" employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes. »

Le juge prud'homal rejette également l'argumentation tendant à démontrer que le motif de rupture serait lié à l’état de santé du salarié en estimant qu’il n’est pas sérieux « de soutenir qu’un employeur va rompre le contrat de travail d’un salarié parce qu’il a été absent un jour pour maladie [...] ce fait ne peut pas être retenu comme élément caractérisant une discrimination », est-il jugé et en s’appuyant sur des attestations produites par l’employeur soulignant unanimement les manquements professionnels et les difficultés d’intégration du jeune salarié dans l’équipe du salon, le juge prud’homal estime par ailleurs que la société n’a fait qu’utiliser « son droit discrétionnaire pour mettre fin à la période d’essai du salarié pour des raisons professionnelles ».

Le conseil de prud'hommes considère néanmoins que les propos litigieux tenus à l’égard du salarié par la tenancière du salon de coiffure constituent des propos injurieux occasionnant un préjudice moral qu'il évalue à la somme de 5 000 euros. Il s'agirait donc, pour la juridiction prud'homale parisienne, de propos injurieux qui ne sont pas homophobes.

Un propos homophobe dénote l'aversion d'une personne pour les homosexuels et l'injure, du latin injuria signifiant « injustice », est un terme de mépris ou une invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait, selon l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

La question à laquelle devra éventuellement répondre la cour d'appel dans un an ou deux est donc de savoir si le terme employé par la tenancière de ce salon de coiffure dénote ou non son aversion pour les homosexuels ou s'il « ne » s'agit « que » d'un mépris ou d'une invective qui ne referme l'imputation d'aucun fait, comme l'ont retenu au moins trois des quatre conseillers prud'homaux composant la section commerce du conseil de prud'hommes de Paris.

PD ou pédé, abréviation de pédéraste, est un terme familier, à connotation injurieuse, pour désigner les homosexuels mais qui, étymologiquement, désigne depuis la Grèce antique un pédophile, c'est-à-dire un homme qui entretient des relations avec de jeunes garçons qui relèvent de la juridiction pénale. Si l'assimilation des homosexuels aux pédophiles par une tenancière de salon de coiffure inculte peut effectivement être considérée comme une injure gratuite relevant de l'article 29 de la loi de 1881, il n'en va pas de même pour ce qui est de l'affirmation gratuite proférée par une juridiction dans une décision de justice rendue au nom du peuple, faisant de tous les coiffeurs des homosexuels et de tous les homosexuels des pédophiles.

C'est « scandaleux » et « choquant », comme l'a souligné aussitôt la ministre du travail Myriam El Khomri et la sanction à l'encontre des auteurs de cette décision intolérable doit être exemplaire. La discipline des conseils prud'homaux relève de l'article L. 1442-13 du code du travail en cas de manquement « grave à [leurs] devoirs dans l'exercice de [leurs] fonctions » et la procédure peut être mise en œuvre à l'initiative du président de la juridiction ou du parquet.

Le président du réseau des coiffeurs Unec (Union nationale des entreprises de coiffure) Bernard Stalter s'insurge contre ce jugement et dit ne pas comprendre que l'on fasse des entreprises de coiffure un lieu où des discriminations refusées ailleurs y seraient tolérées.