Licenciement : Les ambassades ne bénéficient pas de l'immunité de juridiction pour les contrats de travail des agents non diplomatiques

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l'impossibilité, pour un salarié d'une ambassade à Paris, de contester son licenciement constitue une violation de l'article 6 § 1 de la Convention relatif au droit d'accès à un tribunal.
En l'espèce, un ressortissant français avait été engagé par l'ambassade du Koweit à Paris, par contrat à durée indéterminée du 25 août 1980, en qualité de comptable et promu chef comptable cinq ans plus tard, en 1985.
Licencié le 27 mars 2000 pour motif économique, M. Sabeh El Leil avait alors saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui lui avait octroyé, au mois de novembre 2000, diverses indemnités pour un montant total de 82 224,60 euros. Sur l'appel par lui interjeté, la cour d'appel de Paris infirma la décision et a jugé l'action du salarié irrecevable en application de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'État du Koweit, lequel ne pouvait attrait être devant les tribunaux français.
Estimant avoir été privé de son droit d'accès à un tribunal, M. El Leil a saisi, le 23 septembre 2005, la juridiction européenne, en application de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme relatif au droit à un procès équitable, d'un requête déclarée recevable le 21 octobre 2008.
Aucune des parties ne s'y étant opposée, la chambre saisie de l'affaire s'est dessaisie le 9 décembre 2008 au profit de la Grande Chambre qui a rendu son arrêt ce matin.
Sur la recevabilité de la requête, la Cour rappelle qu’il faut ménager aux États contractants la possibilité de redresser dans leur ordre juridique interne les violations des droits de l’homme alléguées contre eux avant d’avoir à en répondre devant un organisme international. Au cas particulier, M. Sabeh El Leil a affirmé devant les juridictions françaises qu’il n’avait pas participé à l’exercice de l’activité de puissance publique de l’État du Koweït ni exercé ses fonctions dans l’intérêt du service public diplomatique, et qu’en conséquence l’immunité de juridiction de l’État du Koweït ne pouvait lui être opposée. Soulevé devant les juridictions internes, son grief tenant au défaut d’accès à un tribunal est donc recevable, estime devant la Cour de Strasbourg
Sur le fond, la Cour constate que M. Sabeh El Leil sollicitait réparation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et que ses fonctions au sein de l’ambassade ne sauraient justifier des restrictions à l’accès de l’intéressé à un tribunal pour des motifs objectifs dans l’intérêt de l’État.
L’immunité des États, observe la Cour, vise à favoriser les bonnes relations entre États par le respect de la souveraineté d’un autre État mais l’immunité absolue des Etats a subi depuis de nombreuses années une érosion certaine, en particulier avec l’adoption de la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2004 qui a introduit une exception importante en matière d’immunité des États. Le principe étant que la règle de l’immunité ne s’applique pas aux contrats de travail conclus entre un État et le personnel de ses missions diplomatiques à l’étranger, sauf dans un nombre limité de situations dont la présente affaire ne relève pas.
Bien que la France n’ait pas ratifié la Convention sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, elle l’a signée le 17 janvier 2007 et la procédure de ratification est actuellement en cours devant le Parlement français, indique la Cour pour qui la Convention de 2004 s’applique au titre du droit international coutumier même à des États, comme la France, qui ne l’ont pas ratifiée.
Au demeurant, M. Sabeh El Leil a été recruté et a travaillé en tant que comptable jusqu'à son licenciement pour motif économique en 2000. A cet égard, deux documents, une attestation de fonction établie en 1985 à l’occasion de sa promotion au poste de chef comptable et un certificat de travail datant de 2000, ne mentionnaient que sa qualité de comptable, sans évoquer d’autres tâches ou fonctions qui lui auraient été assignées. Si les juridictions nationales ont évoqué une série de responsabilités supplémentaires que M. Sabeh El Leil aurait assumées, elles n’ont pas expliqué, relève la Cour, pourquoi elles avaient conclu que l’intéressé, du fait de ces responsabilités, participait à l’exercice de l’activité de puissance publique du Koweït.
La Cour en conclut que les juridictions françaises ont rejeté la demande de M. Sabeh El Leil « sans donner de motifs pertinents et suffisants, portant ainsi atteinte à la substance même du droit du requérant à accéder à un tribunal, en violation de l’article 6 § 1 » et la France doit lui verser, tous préjudices confondus, la somme de 60 000 euros, outre celle de 16 768 euros au titre des frais et dépens.