Affaire Mourad : L’avertissement infligé à l’avocat jugé disproportionné

Me Alain Ottan. Capture d'écran.
Me Alain Ottan. Capture d'écran.

Un « avertissement » à un avocat pour une « assertion générale sur l’organisation de la justice criminelle » est « disproportionnée et n’est pas nécessaire dans une société démocratique », a jugé la Cour européenne des droits de l’homme, à la suite des propos tenus par Me Alain Ottan, en octobre 2009, après l’acquittement d’un gendarme qui avait tué, en mars 2003, le jeune Mourad.

Conseil du père du jeune Mourad, 17 ans, d’origine étrangère et résidant dans un quartier populaire, tué dans la nuit du 2 mars 2003 par un gendarme après une course poursuite qui avait été acquitté le 1er octobre 2009 du chef de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », Me Ottan avait déclaré, dans les minutes qui suivirent le prononcé du verdict, sur interpellation d’un journaliste, qu’il avait « toujours su qu’il [l’acquittement] était possible. Un jury blanc, exclusivement blanc, où les communautés ne sont pas toutes représentées […] la voie de l’acquittement était la voie royalement ouverte, ce n’est pas une surprise ».

Convoqué à comparaître, le 2 avril 2010, devant le conseil de discipline des barreaux de la cour d’appel de Montpellier, pour « avoir, dans la salle des perdus […] gravement manqué aux principes déontologiques essentiels de la profession d’avocat, notamment de délicatesse et de modération en tenant publiquement, des propos imputant à la cour et au jury une partialité raciale et xénophobe », l’avocat fut relaxé le 11 juin 2010 mais sur appel du parquet général, la cour d’appel jugea, le 17 décembre 2010, que les faits constituaient effectivement « un manquement aux obligations déontologiques de l’avocat », écartant le fait que les propos litigieux puissent relever de l’exercice des droits de la défense et qu’en réalité, ils renvoyaient seulement à « l’origine raciale des membres du jury » et que le terme « blanc » utilisé de manière répétitive et affirmative présentait une « connotation raciale jetant l’opprobre et la suspicion sur la probité des jurés, sans qu’il eut été question d’ouvrir un débat ou une réflexion ».

La cour d’appel lui infligea un avertissement, qui constitue la peine la plus faible, et la Cour de cassation rejeta, le 5 avril 2012, son pourvoi au motif qu’en dehors du prétoire, l’avocat « ne bénéficie pas de l’immunité judiciaire prévue dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ». C’est sur le fondement de l’article 10 de la Convention que la Cour de Strasbourg a été saisie le 21 juin 2012 par l’avocat qui soutenait que la sanction constituait une atteinte injustifiée à son droit à la liberté d’expression.

La CourCEDH, 19 avr. 2018, n° 41841/12, Ottan c/ France. relève que si, en l’espèce, l’avocat n’était pas protégé par l’immunité judiciaire, il n’empêche que, hors du prétoire, la défense d’un client peut, dans certaines circonstances, se poursuivre « dans les médias » si les propos « ne constituent pas des attaques gravement préjudiciables à l’action des tribunaux, s’ils ne dépassent pas le commentaire admissible sans une solide base factuelle, si l’avocat s’exprime dans le cadre d’un débat d’intérêt général et s’il a exercé les voies de recours disponibles dans l’intérêt de son client ».

Au cas particulier, la Cour considère que la déclaration de l’avocat « participait à la mission de défense de son client » dès lors que la partie civile « ne pouvait pas faire appel de la décision d’acquittement du gendarme » et qu’elle s’inscrivait dans une « démarche critique pouvant contribuer à ce que le procureur général fasse appel de la décision d’acquittement ainsi qu’il le pouvait en vertu de la loi ». Quant aux propos en cause eux-mêmes, pour la Cour, ils ne traduisent pas une animosité personnelle à l’égard d’un membre du jury précisément désigné ou d’un magistrat professionnel mais faisaient « appel à un débat plus large sur la question de la diversité dans la sélection des jurés », ce qui constitue un jugement de valeur reposant sur une base factuelle suffisante dans la mesure où ils s’inscrivaient dans le droit-fil des débats nationaux (sort judiciaire réservé aux fonctionnaires de police impliqués dans des affaires criminelles) et présentaient un lien « suffisamment étroit avec les faits de l’espèce au regard du contexte social et politique de l’affaire ».

Tout en admettant que la référence à l’origine ou à la couleur de peau des jurés peut sans doute heurter une partie de l’opinion et les autorités judiciaires, la Cour estime que les propos litigieux se rapportaient davantage à une critique « générale du fonctionnement de la justice pénale et des rapports sociaux » plutôt qu’à une attaque « injurieuse à l’égard du jury ou de la cour d’assises ».

Il faut aussi, poursuit la Cour, prendre également en considération le contexte agité dans lequel le verdict a été rendu et, au surplus, les faits « ne permettent pas d’établir une atteinte à l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire suffisante pour justifier la condamnation » car même si la sanction de l’ « avertissement » est la plus faible possible, elle n’est pas « neutre » pour un avocat et elle s’analyse comme « une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d’expression et comme étant non nécessaire dans une société démocratique ».