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Attentat Théâtre Doubrovka : La Russie devra verser 1,25 M€ aux victimes

Par ÉMILIE GOUGACHE | LEXTIMES.FR |
Théâtre de Doubrovka. Théâtre de Doubrovka.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a récemment rendu sa décision à propos de la requête de soixante-quatre otages du théâtre de Doubrovka à Moscou (Russie), constatant la violation par la Russie de l'article 2 de la Convention sur le droit à la vie et demandant à ce que ces victimes du sauvetage par les forces de l'ordre russes soient indemnisées d'une somme globale de 1 254 000 euros pour dommage moral.

Des otages victimes de l'opération destinée à les sauver? C'est bien ce qui s'est passé au matin du 26 octobre 2002, entre 5h et 5h30, au théâtre de Doubrovka. Ce jour-là, les forces de l'ordre russes sont intervenues pour sauver les 900 personnes retenues en otage par plus de quarante terroristes appartenant au mouvement séparatiste tchétchène. L'opération fut chaotique.

Dans cette affaire, les soixante-quatre requérants étaient des personnes prises en otage ou des parents de celles-ci. C'est le 23 octobre 2002, que le calvaire commença, date à laquelle ces personnes furent retenues sous la menace d’armes à feu dans le théâtre durant trois jours. Le théâtre était également piégé et dix-huit bombes humaines réparties parmi les otages.

Très vite, une cellule de crise fut mise en place en vue de mener des négociations et arriver à leur libération. Elle se livra à des préparatifs pour une éventuelle évacuation en masse des otages et pour leur fournir une assistance médicale. Ces préparatifs se fondaient sur l’hypothèse que, en cas d’escalade de la violence, les otages seraient blessés dans une explosion ou par des armes à feu.

Pour ces raisons, plusieurs services de secours furent déployés sur le site. La capacité d’admission de certains hôpitaux de la ville fut renforcée et les sociétés d’ambulance furent averties de l’éventualité d’un déploiement important d’ambulances. Les médecins reçurent même des instructions pour trier les victimes en fonction de la gravité de leur état.

Une opération de sauvetage désastreuse

Des négociations furent également menées avec les terroristes, qui libérèrent plusieurs otages. Ils tuèrent cependant plusieurs personnes.

Les autorités estimaient qu’il y avait un risque réel qu’un nombre important d’otages soient exécutés ou tués dans une explosion. En conséquence, le matin du 26 octobre, les forces de l’ordre russes diffusèrent un gaz inconnu dans l’auditorium principal par le système d’aération du théâtre, et la brigade d’intervention spéciale prit le bâtiment d’assaut.

Si tous les terroristes furent tués et la majorité des otages libérés, 125 d'entre eux décédèrent sur les lieux mêmes où dans les hôpitaux de la ville.

Le parquet de Moscou ouvrit une enquête pénale. Quant à l’acte terroriste lui-même, les terroristes et les personnes qui les soutenaient furent identifiés, et la plupart des circonstances de la prise d’otages furent établies. Un complice des preneurs d’otages à l’extérieur du théâtre fut jugé et condamné. À la même époque, le parquet de Moscou refusa à plusieurs reprises de mener des investigations sur les actions des autorités pendant la crise.

Ainsi, en octobre 2003, les enquêteurs firent connaître leurs conclusions et, se fondant sur les résultats des autopsies, ils estimèrent que les 125 otages étaient morts d’une combinaison de faiblesses individuelles et de maladies chroniques, exacerbées par le stress causé par trois jours de captivité, et que le gaz utilisé n’avait eu tout au plus qu’un "effet indirect" sur leur décès.

Cela fut donc attribué à des facteurs "naturels" et non à l’utilisation du gaz. En outre, se fondant sur les rapports de fonctionnaires de la santé publique et des services de secours, qui qualifièrent généralement l’opération de secours de réussite, le parquet de Moscou décida qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner cette question plus avant.

Une mauvaise planification et mise en œuvre de l'opération

Les requérants déposèrent leur requête devant la CEDH le 26 avril 2003. Ils soutenaient que le recours à la force par les forces de l’ordre avait été disproportionné, la diffusion du gaz ayant fait plus de mal que de bien. Ils dénonçaient également une mauvaise planification et mise en œuvre de l’opération de secours et le défaut d’assistance médicale aux otages. Enfin, selon eux, l’enquête pénale s’était focalisée sur les circonstances du siège lui-même et avait failli à mettre effectivement en lumière les lacunes dans l’organisation de l’opération de secours par les autorités. Ils invoquaient en particulier l’article 2 de la Convention relatif au droit à la vie.

Cet article dispose que "le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement. sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi". Il ajoute également que "la mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire". Ce sont les cas où il faut"assurer la défense de toute personne contre la violence illégale""effectuer une arrestation régulière" ou "empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue", enfin le cas où il faut "réprimer, conformément à la Loi, une émeute ou une insurrection".

La décision de la Cour européenne des droits de l'homme

Dans un premier temps, la Cour1  a considéré que "bien que la solution choisie, la diffusion d’un gaz dangereux et même potentiellement létal, ait mis en danger les vies aussi bien des otages que de leurs kidnappeurs, elle laissait aux otages une chance élevée de survie. En réalité, le recours au gaz a facilité la libération des otages et a réduit la probabilité d’une explosion". Elle a donc jugé que, dans ces circonstances, "la décision des autorités de mettre fin aux négociations et de résoudre la crise des otages par la force en utilisant le gaz et en prenant d’assaut le théâtre n’était pas disproportionnée et, en soi, n’a pas porté atteinte à l’article 2".

En revanche, la Cour a estimé que, dans l’ensemble, les autorités russes, eu égard à la mauvaise préparation et mise en œuvre de l’opération de sauvetage, n’ont pas pris "toutes les précautions possibles en vue de réduire au minimum les pertes en vies humaines parmi les civils"

En effet, Le Gouvernement n’a pu fournir aucun document écrit décrivant avec précision le plan d’évacuation. La cellule de crise a certes ordonné le déploiement de centaines de médecins, de secouristes et d’autres personnes pour assister les otages, "mais il semble que rien n’ait été fait pour coordonner le travail de ces services", relèvent les juges. Cette lacune est confirmée par les dépositions de nombreux témoins oculaires et par d’autres éléments, à savoir plusieurs enregistrements vidéos de l’évacuation, qui montrent que chacun semble agir de sa propre initiative.

Dès lors, la Cour européenne des droits de l'homme considère qu' il y a eu violation de l'article 2 de la Convention, en raison de la mauvaise planification et mise en œuvre de l'opération de secours.

Les requérants se partageront une indemnité de 1 254 000 euros pour la réparation de leur dommage moral.

 

  • 1CEDH, 20 déc. 2011, n° 27311/03, Finogenov et a. c/ Russie.

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