Brevets : Le pillage des savoirs traditionnels par les chercheurs de l’IRD

L’Office européen des brevets (OEB) a validé hier, malgré l’opposition de la fondation Danielle Mitterrand-France Libertés, un brevet de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) français portant sur les « propriétés antipaludiques de la plante Quassia Amara » qu’elle qualifie de « brevet biopirate » pour avoir été identifiées, de longue date, en Guyane grâce à « l’apport de savoirs traditionnels » dont les mérites ne sont pas reconnus.
La « prétendue invention » de six chercheurs, Valérie Jullian, Alexis Valentin, Éric Deharo, Geneviève Bourdy, Franciane Ho-A-Kwie et Nadia Cachet, de l’IRD, un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST) placé sous la tutelle des ministères chargés de la recherche et de la coopération, a été revendiquée dès le 22 juillet 2010 et formellement enregistrée le 25 avril 2012 à l’OEB comme étant « une nouvelle molécule, la Simalikalactone E, qui peut être extraite de la plante Quassia amara [et peut être utilisée] comme médicament, notamment dans la prévention et le traitement du paludisme ».
Épaulée par un universitaire canadien, Thomas Burelli, et un avocat strasbourgeois, Cyril Costes, France Libertés a manifesté son opposition à la délivrance de ce brevet en mars 2015 et a bataillé pendant près de trois ans pour que l’IRD ne s’approprie pas gratuitement « les savoirs médicinaux » et reconnaisse « l’apport des populations autochtones et locales » dans cette invention. En vain. Hier, l’OEB a sifflé la fin de la partie en rejetant l’argumentation des trois opposants à l’issue d’une procédure orale au cours de laquelle Tapo Aloïke, amérindien Wayana de Guyane, désigné par ses pairs comme leur représentant dans cette affaire, n’a pas été autorisé à s’exprimer.
« Ce brevet est un cas flagrant de biopiraterie, s’insurgent les opposants France Libertés, Cyril Costes et Thomas Burelli, pour qui il est inacceptable que l’IRD puisse exploiter [le brevet] tout en écartant les communautés qui y sont pourtant à l’origine », d’autant plus qu’il serait à craindre que cette décision ne mette en péril « l’utilisation des remèdes traditionnels, l’IRD pouvant [désormais] en interdire l’usage par les communautés qui les ont découverts ».
Les pratiques de l’IRD dénoncées par France Libertés n’ont pas été sanctionnées par l’OEB malgré « l’absence de consentement, de partage des avantages et de retour aux détenteurs des savoirs traditionnels », ce qui frappe, selon la fondation, ce brevet « d’illégalité » et peine à comprendre que cette demande de brevet n’ait pas été « jugée comme contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre public ». Pour France Libertés, l’OEB aurait dû saisir cette « opportunité de se positionner clairement en faveur des droits des Peuples autochtones » car plus de dix ans après l’adoption par l’ONU de la Déclaration des droits des Peuples autochtones, il est plus que temps, selon le juriste de France Libertés Leandro Varison, « que les différents systèmes de brevet prennent en considération ces droits dans l’étude des demandes de brevet ».
Toute personne souhaitant accéder aux savoirs traditionnels d’une communauté, plaide la fondation, devrait en effet obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des détenteurs de ces savoirs et élaborer un protocole d’accord sur le partage des avantages qui découleront de leurs utilisations. Un appel que le gouvernement ne devrait pas ignorer pour amener l’IRD à plus de raison, rapidement.