CEDH : 92 500 € pour la vie d’un gitan abattu par un gendarme

La France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 de la Convention relatif au droit à la vie « en raison de la force manifestement excessive employée »par un gendarme qui a tiré sept coups de feu sur un homme du voyage placé en gardé en vue menotté et entravé à la jambe qui a pris la fuite en sautant d’une fenêtre de 4 mètres 60, a jugé la Cour européenne des droits de l'homme.

En mai 2008, Joseph Guerdner avait été interpellé et placé en gardé à vue dans les locaux de la gendarmerie de Brignoles (Var) à la suite d’une enquête pour des faits de vol à main armée en bande organisée avec enlèvement et séquestration. À la fin de son audition, il réussit à ouvrir une fenêtre et sauta à l’extérieur du bâtiment d’une fenêtre de 4 mètres 60 bien qu’il fût menotté et entravé à une jambe et un gendarme tira à sept reprises dans sa direction, il décéda peu après des suites de ses blessures.

Sur appel des parties civiles de l’ordonnance de non-lieu rendue le 18 août 2009 par un juge d’instruction de Draguigan (Var), le gendarme fut mis en accusation par un arrêt du 1er décembre 2009 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) mais fut acquitté le 17 septembre 2010 par la cour d’assises du Var pour avoir « agi selon les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ».

Sur appel du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, la cour d’Aix-en-Provence infirma par ailleurs, le 3 octobre 2012, une décision de la CIVI (Commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales) qui avait accordé 10 000 euros à la mère de la victime au motif que « les faits à l’origine du décès de Joseph Guerdner ne présentaient pas le caractère matériel d’une infraction, en raison de l’arrêt d’acquittement rendu par la cour d’assises, et qu’il n’y avait donc pas lieu à indemnisation ».

C’est ainsi que les 12 parties civiles — conjointe, enfants, mère, frères, sœurs et tante — ont saisi, le 9 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 2 de la Convention relatif au droit à la vie.

Pour la CourCEDH, 5e sect., 17 avr. 2014, Guerdner et a. c/ France., la poursuite de la fuite, malgré sa chute et après les trois premiers coups de feu, n’était pas suffisante pour considérer Joseph Guerdner comme « dangereux pour autrui ou que sa non-arrestation aurait eu des conséquences néfastes irréversibles » et elle n’est guère convaincue que le recours à la force « procédait d’une conviction fondée sur des raisons légitimes de penser que Joseph Guerdner constituait une réelle menace au moment des faits, autorisant le recours à la force potentiellement meurtrière ».

D’autres possibilités d’action s’offraient au gendarme pour parvenir à l’arrestation du fuyard au lieu d’ouvrir le feu, juge la Cour qui relève que le temps nécessaire pour descendre les escaliers à partir de l’escalier où se trouvait le gendarme n’était que de 13 secondes et que de nombreux autres gendarmes étaient présents, ce qui permettait une facile course poursuite. La Cour estime donc que la France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 de la Convention « en raison de la force manifestement excessive employée ».

Les 12 requérants réclamaient 50 000 euros chacun au titre du préjudice moral subi du fait du décès de leur mari, père, fils, frère ou neveu. La Cour leur alloue 92 500 euros au total, 50 000 euros à la veuve et à ses trois enfants, 10 000 euros à la mère, 5 000 euros à chacun de ses six frères et sœurs, et 2 500 euros à sa tante, outre 15 000 euros au titre des frais et dépens.