CEDH : Les Français installés à Monaco doivent payer l'ISF

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la législation française relative à l'impôt sur la fortune (ISF), applicable depuis 2005 aux Français installés dans la principauté de Monaco dans les mêmes conditions que s'ils avaient leur domicile ou résidence en France, n'est pas contraire à la Convention.
Au cours de l’année 2001, la France et Monaco ont négocié une modification de la convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963 et un avenant signé le 26 mai 2003 prévoit que les Français résidant à Monaco sont assujettis, à compter du 1er janvier 2002, à l’ISF dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou résidence en France, pour ceux qui sont domiciliés dans la principauté après le 1er janvier 1989. Les contribuables concernés furent informés par une lettre du 5 mai 2002 du ministre délégué au budget aux délégués de Monaco au Conseil supérieur des Français de l’étranger de l’adoption prochaine de la loi et de l’effet rétroactif envisagé. Il leur était suggéré d’anticiper l’entrée en vigueur du texte en déclarant et en payant leur impôt dès l’année 2002. L’administration fiscale précisa ensuite, en avril 2005, qu’aucune pénalité ne serait appliquée pour la période antérieure à la ratification de l’Avenant qui fut publié par décret au Journal officiel du 23 août 2005.
Les huit requérants, après avoir déposé des déclarations d’ISF au titre de l’année 2005, pour deux d’entre eux, et des exercices 2002 à 2005, pour les six autres, puis s’être acquittés spontanément de l’imposition en cause, ont réclamé aux services fiscaux la restitution des sommes versées. Par des arrêts du 18 décembre 2008, la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma les jugements du tribunal de grande instance de Nice qui avait débouté les requérants, en relevant qu’aucune irrégularité n’affectait la perception des sommes versées volontairement et par anticipation et en estimant que l’ISF n’est pas contraire à l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme.
S’agissant du respect de l’article 14 de la Convention relatif à l'interdiction de la discrimination, la cour d'Aix indiquait que l’avenant à la convention franco-monégasque avait justement pour objectif « de mettre les Français résidant à Monaco dans la même situation que leurs compatriotes résidant sur le territoire français », considérant que le texte n’avait rien de discriminatoire dans la mesure où il s’appliquait à tous les Français pour éviter l’évasion fiscale. Pour ce qui est du caractère rétroactif de la mesure, elle jugea qu'en l’absence de création d’une infraction pénale ou d’application de pénalité fiscale sur la période 2002-2005, cela ne portait pas « une atteinte exorbitante au droit de propriété, puisqu’elle ne présentait pas de caractère confiscatoire et que les intéressés avaient été informés dès 2001 de la mise en place du dispositif ». La cour de cassation rejeta le pourvoi en 2010.
Devant la Cour européenne des droits de l'homme, dans leur requête introduite en avril 2011, il était soutenu par les huit requérants que cet impôt sur la fortune avec effet rétroactif avait porté atteinte « à leur droit au respect de leurs biens » et qu'il constituait une discrimination illicite.
L’ingérence dans le droit des requérants garanti par l’article 1 du Protocole n° 1 était expressément prévue par la loi, relève la Cour
Un juste équilibre a-t-il néanmoins été ménagé entre les intérêts des requérants et l’intérêt général, se demande la Cour qui répond par l'affirmative. L’avenant litigieux, relève-t-elle, s’inscrit dans le cadre d’une relation ancienne et étroite entre la France et Monaco en matière fiscale, notamment concernant les Français installés dans la principauté, pour des raisons liées aux spécificités géographiques et fiscales de cet État. À l'instar de la convention fiscale franco-monégasque de 1963, le nouveau texte négocié en 2001 prévoit l’imposition des Français dans les mêmes conditions que s’ils avaient leur domicile ou résidence en France et qu'en outre, afin d’atténuer l’importance de l’impôt exigé à partir de 2005, des facilités de paiement ont été mises en place et aucune pénalité n’a été imposée pour la période antérieure à la ratification de l’avenant, ce qui fait dire à la Cour qu'il n’a pas été « fondamentalement porté atteinte à la situation financière des requérants » et en conclut que l’imposition litigieuse n’a pas rompu « le juste équilibre devant régner entre les intérêts des requérants et l’intérêt général ».
Quant à la discrimination illicite soulevée sur le fondement de l'article 14 de la Convention concernant leur assujettissement rétroactif à l’ISF alors que les Français résidant dans d’autres États étrangers ne sont assujettis à cet impôt qu’à concurrence de leurs biens situés en France et en sont exonérés pour leurs placements financiers effectués dans ce pays, la Cour estime que les Français de l’étranger ne peuvent être considérés comme formant « une catégorie uniforme dont les membres se trouveraient dans une situation similaire et qu’il convient de les distinguer selon le pays où ils ont élu domicile ». Monaco, c'est donc un peu beaucoup la France, du moins fiscalement parlant.