CEDH : Les propos haineux et antisémites de Dieudonné ne relèvent pas de la liberté d'expression

Prix de l'infréquentabilité et de l'insolence, au Zénith, 26 déc. 2008.

Le « prix de l'infréquentabilité et de l'insolence » remis, en 2008, à Robert Faurisson lors d'un spectacle de l'humoriste Dieudonné ne relève pas de la liberté d'expression mais constitue, au contraire, selon la Cour européenne des droits de l'homme, « une démonstration de haine et d'antisémitisme » ainsi que la remise en cause de l'holocauste.

À la fin de son spectacle « J'ai fait l'con », donné dans la salle du Zénith à Paris, le 26 décembre 2008, Dieudonné avait invité l'universitaire révisionniste Robert Faurisson — condamné à plusieurs reprises en raison de ses thèses négationnistes et révisionnistes consistant à nier l'existence des chambres à gaz dans les camps de concentration — à le rejoindre sur scène pour recevoir les applaudissements du public et se faire remettre le « prix de l'infréquentabilité et de l'insolence », prix symbolisé par un chandelier à trois branches coiffées de trois pommes qui lui avait été remis par son régisseur Jacky vêtu d'un pyjama rayé sur lequel avait été cousue une étoile jaune portant la mention « juif », qualifié d' « habit de lumière » et le représentant ainsi en « déporté juif des camps de concentration ».

Poursuivi et condamné par un arrêt confirmatif rendu le 17 mars 2011 par la cour d'appel de Paris pour « injure publique envers [... des] personnes d'origine ou de confession juive » sur le fondement de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, Dieudonné avait saisi, le 10 avril 2013, la Cour européenne des droits de l'homme pour s'en plaindre sur le fondement des articles 7 et 10 de la Convention relatifs à "pas de peine sans loi" et à la liberté d'expression respectivement.

À l'instar des juges internes, la Cour de StrasbourgCEDH, 10 nov. 2015, n° 25239/13, Dieudonné M'Bala M'Bala c/ France. considère qu'au cours du passage litigieux, la soirée avait perdu son caractère de « spectacle de divertissement » pour devenir un « meeting » qui, sous couvert de représentation humoristique, valorisait le négationnisme par le biais de la place centrale donnée à l'intervention de Robert Faurisson et dans la mise en position « avilissante des victimes juives des déportations » face à celui qui nie leur extermination.

Pour les juges européens qui ne sont pas particulièrement tendres avec les débordements de l'humoriste engagé politiquement, il ne s'agissait plus d'un spectacle qui — même satirique ou provocateur — relèverait de la protection de l'article 10 de la Convention relatif à la liberté d'expression mais, en réalité, au cas particulier, d'une « démonstration de haine et d'antisémitisme, ainsi que d'une remise en cause de l'holocauste ». Travestie sous l'apparence d'une production artistique, poursuit la Cour, la séquence critiquée est « aussi dangereuse qu'une attaque frontale et abrupte », tout en représentant l'expression d'une « idéologie qui va à l'encontre des valeurs de la Convention ».

En l'espèce, conclut la Cour, Dieudonné tente de détourner l'article 10 de la Convention de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d'expression à des fins contraires au texte et à l'esprit de la Convention et qui, si elles étaient admises, contribueraient « à la destruction des droits et libertés garantis par la Convention »