CEDH : Un enfant adultérin peut être privé de droits de succession

Au terme d'une longue bataille en justice de plus de 10 ans, Henry Fabris n'a rien obtenu. Cet homme résidant à Orléans est finalement exclu de la succession de sa mère décédée en 1994. Parce qu'il est un enfant adultérin, et non un enfant légitime. La Cour européenne des droits de l'homme n'a rien pu faire pour lui.
Derrière une histoire assez classique, se cachent de vrais questionnements sur la loi, son effet dans le temps, et sa possible rétroactivité.
Est également ici mise en lumière de la complexité du droit français en matière d'héritage : difficile dans certains cas de savoir quel texte s'applique, quelle disposition ancienne est toujours d'actualité ou non...
Henry Fabris est né en 1943, d'une liaison adultérine entre une femme mariée et un homme. La mère prévoit sa succession en 1970 avec son époux. Ils font une donation-partage à leurs deux enfants légitimes avec "réserve d'usufruit". En plus clair, ils leur lèguent leurs biens, mais les enfants ne pourront en jouir qu'au décès des deux parents. Le père meurt en 1981. La mère le suit au ciel en 1994.
Les deux enfants accèdent ainsi aux biens. Mais il y en a un troisième, non légitime, qui voudrait lui aussi sa part : Henry Fabris. Il pense y avoir légitimement droit, d'autant plus que la justice a établi sa filiation maternelle en 1983. Aucun accord n'est trouvé entre les enfants, et tout cela ne tarde pas à se retrouver devant les tribunaux.
La difficulté à savoir quel texte s'applique
Le problème en question est le suivant: quel texte est adapté à la situation en l'espèce ? Trois dispositions semblent pouvoir s'appliquer :
- Une loi du 3 janvier 1972 prévoit qu'un enfant adultérin peut recevoir la moitié de la part d'un enfant légitime.
- L'article 14 de cette même loi prévoit l'interdiction de remettre en cause les donations entre vifs faites avant son adoption. "Les droits des réservataires institués par la loi [...] ne pourront être exercés au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur", dit le texte. Monsieur Fabris n'aurait ainsi droit à rien, puisque la donation a été faite en 1970, 2 ans avant la loi, et qu'il en a été exclu.
- Une loi du 3 décembre 2001 donne finalement aux enfants adultérins les mêmes droits qu'aux enfants légitimes en matière de succession. Cette loi s'applique t-elle aux situations antérieurs à son entrée en vigueur ? Peut-elle s'appliquer à cette affaire ?
Les juges se retrouvent face à cet imbroglio. Un premier jugement, en 2004, est prononcé en faveur de Henry Fabris, infirmé en appel : la donation ne peut pas être remise en question. Un pourvoi est rejeté.
Et c'est ainsi que Henry Fabris saisit la Cour de Strasbourg. Il s'estime discriminé en tant qu'enfant naturel, il prétend que la justice lui retire son dû et empiète sur des droits qu'il a acquis de sa famille. En langage juridique, il invoque une violation de l'article 14 (interdiction de discrimination), de l'article 1 du protocole n°1 (protection de la propriété) et de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l'homme.
La question de la rétroactivité
En terme de rétroactivité (application d'une règle de loi à des situations antérieures avant son entrée en vigueur), un premier problème se pose : celui de la compétence de la Cour. Le gouvernement français considère que Strasbourg n'a pas à se prononcer sur cette affaire. En effet l'acte litigieux a été signé en 1970, 4 ans avant que la Convention n'entre en vigueur en France.
La Cour
Sur le fond de l'affaire, la position de la CEDH est assez claire: il y avait une donation-partage faite par les parents à leurs deux enfants légitimes. L'acte est protégé par l'article 14 la loi de 1972. Cette disposition vise à "garantir une certaine paix des rapports familiaux en sécurisant des droits acquis dans ce cadre, parfois de très longue date". L'article en question n'a pas été abrogé depuis. C'est l'idée de la "sécurité juridique" qui est en cause : les enfants légitimes ont acquis le droit à avoir les biens de leurs parents, il leur a été signifié, il doit pouvoir leur être appliqué sans pouvoir être remis en question par de nouveaux textes. Donc en l'espèce, selon la Cour, pas de violation, les juridictions françaises ont bien appliqué le droit.
L'opinion dissidente de deux juges
La décision peut paraître critiquable. Deux juges, et pas des moindres, ne se gênent pas pour la critiquer : le président de la Cour Jean-Paul Costa, et le président de section Dean Spielmann. Leur opinion dissidente vient compléter l'arrêt. Ils affirment qu' il y a bien discrimination, il y a bien eu un homme "totalement exclu de la succession de sa mère", pour la seule raison qu'il est né hors mariage.
"Le principe de non discrimination nous paraît plus important en droit et en équité que ceux des droits acquis et de la sécurité juridique", déclarent-ils. Il y aurait de plus à leur sens un vrai paradoxe. En effet, la France a adopté la loi de 2001, qui offre les mêmes droits de succession aux enfants naturels et aux adultérins, suite à l'arrêt Mazurek